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justement dans la même intention : je veux dire, pour astreindre le poète à cette probité de la couleur et du dessin dont les romantiques s’étaient émancipés, en même temps que de beaucoup d’autres choses. Mais les symbolistes estiment que le vague et l’imprécis, que le flottant et le fugitif, que l’aérien et l’impondérable sont une partie de la poésie, si même, peut-être, ils n’en font tout le charme.

Au lieu donc de tyranniser la liberté de l’imagination et du rêve, ils demandent que la poésie les rende à leur essor. Et pourquoi ne l’essaierait-elle pas ? Pourquoi le vers, après avoir développé, si je puis ainsi dire, ce qu’il y avait d’abord en lui de rationnel, et de plastique ensuite, ne développerait-il pas ce qu’il y a de musical aussi ? Pourquoi la poésie ne se proposerait-elle pas, comme fait la musique, de dissoudre l’unité du moi dans une diversité d’états d’âme successifs, et en le rendant, comme encore la musique, à son indétermination première, de le rendre à la volupté vagabonde du rêve ? Les symbolistes disent : « erratique, » mais c’est bien ce qu’ils veulent dire.

Qu’il y ait là des dangers évidens, contre lesquels il ne semble pas que nos symbolistes se tiennent assez en garde, je n’en disconviens point. Mais, en attendant, si ce sont bien là quelques-unes des questions qui les préoccupent, non-seulement elles n’ont rien de ridicule, mais elles sont curieuses, elles sont intéressantes et elles touchent, ou elles mènent, à d’autres questions plus intéressantes et plus curieuses encore.

Telle est précisément la question de la nature et de l’usage du symbole, qui sans doute est trop vaste, et surtout trop fuyante, pour qu’on espère en quelques pages de la préciser et de l’épuiser. Je renverrai donc les curieux aux grands ouvrages de Görres sur la Mystique et de Creuzer sur les Religions de l’antiquité. J’y renverrai aussi nos symbolistes eux-mêmes, qui ne me paraissent pas les avoir assez pratiqués. Je ferai seulement deux observations.

La première, c’est qu’il est prodigieux que ces noms seuls de Symbolisme et de Symbole n’éveillent guère autour d’eux qu’une hilarité dédaigneuse, quand autour de nous cependant tout est Symbole et n’est que Symbolisme. Une religion n’est qu’une symbolique, puisque ses cérémonies et ses rites ne sont que l’enveloppe, ou, si je puis ainsi dire, la traduction plastique, l’imitation sensible, mouvante et colorée, des vérités mystérieuses qui la constituent en son fonds. Pareillement, tout art n’est qu’une symbolique, en tant qu’il exprime des idées abstraites par des images et qu’il communique aux couleurs et aux formes une signification qu’elles n’ont point d’elles-mêmes. Pareillement encore, une langue n’est qu’une symbolique, s’il peut bien y avoir quelques rapports secrets et souvent des analogies profondes, mais non pas de liaison fixe et nécessaire entre