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et le moyen en est tout indiqué, beaucoup plus simple, plus conforme au génie intérieur des langues, plus analogue surtout à la définition du symbolisme et du symbole : c’est de réintégrer les mots dans la pleine et entière propriété de leur sens étymologique ; c’est de les allier entre eux d’une manière si subtile que l’on retrouve toujours, dans l’acception qu’on leur donne, avec leur sens originel, un souvenir affaibli de tous les états qu’ils ont traversés dans l’histoire ; c’est de confier enfin, si je puis ainsi dire, à la comparaison et à la métaphore le soin de mettre en lumière ce que les choses les plus différentes ont souvent entre elles d’analogies cachées.

Si jamais, en effet, on a pu accuser la langue française de misère lexicographique ou sa syntaxe de raideur et d’uniformité, ce n’est pas depuis que le romantisme, au commencement de ce siècle, et après lui le naturalisme, l’ont désarticulée, disloquée, désossée, pour ainsi dire, et y ont ensuite comme versé l’argot de tous les métiers. A cet égard même on l’a trop enrichie, selon nous, et, comme il arrive encore assez souvent, alourdie, en l’enrichissant. Car, c’est en vain que l’on entassera les mots dans les dictionnaires, on n’y donnera pas, avec leur définition, le secret de savoir s’en servir : on exposera seulement à la tentation d’en user tous ceux dont la pensée rudimentaire n’a jamais assez de mots ou de tours à sa disposition. Mais ce qui est toujours possible, si la métaphore est le procédé naturel de développement ou de fructification des langues, c’est d’en aider le pouvoir, et pour cela d’élargir le sens des mots en approfondissant la diversité des relations des choses. Sous combien d’aspects un même objet ne peut-il pas apparaître ; que d’impressions différentes ne peut-il pas exciter tour à tour ; et par combien d’autres objets ne le peut-on pas exprimer !

C’est ce qui est encore plus vrai de ces grands objets qui sont ceux du symbolisme, et d’autant plus vrai que, comme nous le disions, là même, dans la diversité d’aspects qu’un même objet peut revêtir, est la raison du symbolisme. Tout le problème de l’art, et en particulier de l’art symbolique, est de ramener cette complexité à son unité primitive ; et le véritable artiste est celui qui le fait avec aisance, mais surtout avec clarté.

Il faut qu’une face au moins du symbole soit claire. D’ailleurs, un grand écrivain en tout genre est celui qui sait exprimer clairement des idées même obscures, qui le demeurent encore après qu’il a parlé : Bossuet, quand il nous montre Dieu « développant du centre de son éternité l’ordre des siècles, » ou Hugo lorsqu’il nous fait voir :


……… tous les morceaux noirs qui tombent
Du grand fronton de l’inconnu.