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responsabilité de ses propositions. Ce n’était pas fait pour faciliter la tâche du gouvernement dans une œuvre qui ne peut réussir que par un accord patriotique de tous les partis. Le chef du cabinet, M. Beernaert, a fini néanmoins par se décider à sortir des ambiguïtés, à aller devant la section centrale de la chambre à laquelle la question est aujourd’hui soumise, et à lui exposer un ensemble de vues plutôt qu’un projet. M. Beernaert n’a pas caché qu’il était opposé au suffrage universel, que passer brusquement de 135,000 à près de 1,500,000 électeurs lui semblerait un péril. Il a proposé un système, imité du système anglais, qui créerait 600,000 électeurs, qui admettrait de plus la représentation des minorités, l’unification électorale pour la chambre, pour les provinces et pour les communes, un corps électoral particulier pour le sénat. Ce n’est pas tout : en compensation de l’extension du suffrage, M. Beernaert réclame un certain accroissement des prérogatives du pouvoir exécutif, de ses droits de police. C’est sur ces vues que la section centrale est appelée aujourd’hui à délibérer, et c’est après que la section centrale aura délibéré que le chef du cabinet belge se réserve de présenter un projet régulier et précis, destiné à rallier autant que possible tous les hommes de bonne volonté.

C’est un premier pas, si l’on veut ; ce n’est qu’un premier pas, et peut-être y a-t-il encore bien du chemin à faire avant d’arriver à une solution. Malheureusement, tandis que les pouvoirs publics en sont à délibérer, tandis que les partis classiques cherchent, non sans un visible embarras, un moyen de tout concilier, les réunions, les pétitions, les manifestations se succèdent. Le mouvement qui s’étend dans le pays a pour mot d’ordre unique le suffrage universel. Les fédérations ouvrières se réunissent, votent des résolutions et se déclarent prêtes à poursuivre la lutte jusqu’au bout pour la conquête du droit électoral. Les masses démocratiques pressent les pouvoirs officiels. On ne peut pas dire que la Belgique soit menacée d’une révolution prête à sortir de quelque manifestation populaire ; on peut seulement prévoir que, si le parlement, qui a émis un premier vote pour la révision, se déclarait maintenant impuissant, l’agitation ne ferait sans doute que s’accroître en se confondant avec le mouvement gréviste, et serait bientôt un péril pour la Belgique.

Au courant de sa large et active vie publique, une grande nation comme l’Angleterre n’a que le choix ou l’embarras des affaires, — affaires intérieures ou extérieures, diplomatiques ou parlementaires. Ce n’est pas de l’intérieur que le ministère de Londres est le plus occupé aujourd’hui. Il a retrouvé une certaine sécurité, une certaine liberté du côté de l’Irlande, depuis que la division s’est mise au camp du home-rule, depuis que M. Parnell, par une obstination d’orgueil, pour des griefs personnels, a ébranlé l’alliance entre le libéralisme anglais et la cause irlandaise. Il lui reste bien d’autres questions qui