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au-dessous de la hauteur que nous avons fixée tout à l’heure. Réciproquement, en noyant les vignes trop longtemps (50 jours par exemple) et dans une saison trop tardive, le sol, au moins dans certaines années froides, se dessécherait malaisément, et les premières cultures pourraient en souffrir.

Le propriétaire qui, disposant d’un volume d’eau suffisant, désire planter dans des terrains submersibles, doit s’efforcer de diviser le sol en quartiers ou bassins artificiels limités par des levées de terre. La superficie d’un quartier doit être plate pour que l’inondation puisse se régler ; sinon, les parties basses auraient trop d’eau, ce qui serait sans inconvénient, sauf les chances de rupture des digues, mais les parties hautes resteraient à découvert, ce qu’il faut éviter à tout prix. Il convient que le sol, sans être étanche, présente une perméabilité suffisante. Un terrain trop léger laisse filtrer les eaux à mesure qu’elles se répandent ; un terrain présentant le défaut contraire se dessèche imparfaitement, surtout lorsque l’hiver, sur sa fin, est pluvieux.

Visitons en hiver, au mois de février, l’une des nombreuses exploitations viticoles qui s’étendent au sud de la petite ville de Marsillargues, dans la plaine d’alluvions du Vidourle, à l’extrême limite orientale du département de l’Hérault. Nous avons sous les yeux une sorte de damier dont chaque case figure une nappe d’eau rectangulaire bornée par des chaussées dont le réseau sert de voies de communication. Les cases de damier occupent des étendues assez inégales, suivant les convenances particulières de chaque domaine ; quelques-unes se restreignent à un petit nombre d’hectares ; d’autres, organisées dans des situations plus favorables, couvrent jusqu’à 70 hectares d’un seul tenant. Ce sont de vrais lacs dont les petites vagues, les jours où le mistral souffle, clapotent avec bruit contre la jetée. On garantit les talus au moyen de litières de sarmens juxtaposés. Pour que le résultat obtenu soit jugé satisfaisant, il ne faut pas qu’une seule cime d’herbe apparaisse au-dessus de l’eau ; seules les couronnes des souches ont le droit d’émerger.

Les vignes inondées ne pouvant être cultivées que dans des terrains perméables, la submersion constitue un vrai travail des Danaïdes : à peine l’eau a-t-elle envahi les plantiers à saturation que déjà l’humidité filtre à travers les pores du sol. En moyenne, la déperdition s’élève à un centimètre par jour. Aussi est-on obligé d’y remédier sans cesse. Actuellement, dans le cours de chaque hiver, 45 machines élévatoires installées à demeure dans la basse vallée du Vidourle, entre Sommières et la mer, travaillent durant les quarante jours