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niches bourrées de paille fraîche. Des bancs constituent le seul mobilier. Le tout est primitif, mais propre. Une chapelle fait partie du domaine ; le dimanche, on en ouvre les portes qui donnent sur les caves, et le nombreux personnel employé à Tamariguière peut remplir ses devoirs religieux.

Lorsque le tombereau de vendange a reçu un millier de kilogrammes de raisins, le charretier qui le dirige se met en marche vers l’usine. Un régisseur, la craie à la main, inscrit un numéro sur un petit tableau noir suspendu à côté de la porte ; chaque tombereau est affecté à une « colle » et il s’agit de vérifier si la « colle, » conduite par un baile, travaille avec assez de zèle. La « pastière » chavire, et son contenu se précipite dans une cuve remplie de raisins à moitié écrasés, dans laquelle patauge un homme à demi nu, habillé d’un simple sarrau de toile et armé d’une fourche. Quelquefois l’avalanche qui résulte du déversement submerge l’homme jusqu’à la ceinture. Il se dégage en luttant avec sa fourche. Une forte machine à vapeur, actionnant courroies, arbres et poulies de renvoi, souffle et grince sans interruption. On ne peut s’empêcher, au milieu de ce tapage, de faire en soi-même un retour sur le passé ; l’esprit se reporte invinciblement au souvenir des paisibles vendanges classiques auxquelles ont assisté tous ceux de notre génération qui ont grandi dans un pays vinicole : en tout cas, le bruit des organes de machine ne remplace pas avantageusement les accords du violon qui faisait, au bon vieux temps, trépigner en mesure les fouleurs, s’il faut en croire la légende.

Les godets d’une chaîne sans fin, mue par la vapeur, plongent dans la vendange brassée par la fourche du manœuvre ; les grappes, toutes ruisselantes de jus, sont entraînées jusqu’au niveau du plancher d’un premier étage, glissent sur un plan incliné et sont recueillies dans un wagonnet à déversoir. Bientôt le wagonnet est plein à comble ; alors, ébranlé sous l’impulsion que lui donne un ouvrier[1], il glisse avec fracas sur les rails du plancher en bois. On l’arrête en face d’une trappe munie d’un entonnoir ; le wagonnet bascule et se vide ; son contenu s’engouffre dans l’entonnoir, traverse le niveau du plancher et se précipite dans le « foudre » où doit avoir lieu la cuvaison. Quant au wagonnet, allégé de sa charge et poussé de nouveau, il retourne à son point de départ, ayant décrit un circuit complet.

Suivant une pratique devenue presque universelle aujourd’hui

  1. Autrefois, avant de mettre en mouvement le wagonnet chargé, l’homme puisait dans un sac une poignée de plâtre blanc dont il saupoudrait les raisins. L’année dernière, le plâtrage n’a plus été pratiqué.