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la science. » Tandis que les adversaires du socialisme présentent la série de ses programmes comme un signe de l’impuissance du parti à rien exprimer de précis, et les comparent à ces peaux que sème le serpent le long de sa route rampante et onduleuse, ses partisans s’en targuent, au contraire, comme d’un signe manifeste de progrès. L’économie politique, disent-ils, est une science en profonde fermentation et qui se transforme tous les jours, car elle traite des phénomènes variables de la production et de l’échange ; il doit en être de même du socialisme. Il devra suivre l’évolution de la science pas à pas, étudier les lois économiques du mouvement de la société capitaliste. Comme l’histoire de l’agitation socialiste est celle d’une secte révolutionnaire devenue un parti politique, de même l’histoire de la doctrine sera celle d’une utopie transformée en une science positive.

Rien n’est plus contestable que ce titre scientifique que s’arrogent les théoriciens du socialisme, en donnant pour raison qu’ils s’appuient sur l’économie politique, c’est-à-dire sur une science qui n’est pas encore faite, qui cherche ses lois, mais ne les a pas trouvées, divisée en écoles rivales qui discutent même s’il y a en ces matières des lois naturelles, qui n’ont que des doctrines variables, même sur des questions de statistique, et dont la vérité en-deçà du Rhin est l’erreur au-delà. Par ses hypothèses, sa facilité à suivre de simples conjectures, et sa recherche d’un absolu qui échappe toujours, le socialisme se rapproche infiniment plus de la philosophie que de la science.


I. — LA DOCTRINE ÉCONOMIQUE.

Liebknecht, au congrès de Halle, parlant au nom du parti, a indiqué dans quel esprit sera conçu le nouveau programme. Le congrès de Gotha, en 1875, avait accompli la fusion des groupes hostiles de l’ancien parti de Lassalle et du parti marxiste de Bebel et Liebknecht. Les statuts élaborés à Gotha avaient fusionné de même le socialisme mitigé de Lassalle et le collectivisme de Marx. On avait inséré, dans la déclaration de principes, la célèbre loi d’airain qui, d’après Lassalle, courbe l’ouvrier sous le joug de la misère ; on avait admis, parmi les exigences du parti et comme moyen de transition au socialisme pur, « l’établissement d’associations productives de travailleurs avec le secours de l’État. » Les pensées et les formules de Lassalle, qui d’ailleurs maintenait la propriété privée, et sur d’autres points copiait Marx, sont aujourd’hui considérées comme hors d’usage, si populaire que soit restée sa mémoire ; ce ne sont plus que des éclats d’obus qui ont accompli leur œuvre