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Les socialistes comptent néanmoins sur la lente évolution de l’avenir, sur l’atténuation manifeste de l’esprit de conquête du moins entre peuples civilisés, sur les intérêts croissans de l’industrie moderne pour étouffer l’instinct belliqueux. La civilisation exige le concours des forces internationales. Comme heureux symptômes de l’union future, ils signalent les traités de commerce, de navigation, les postes, le droit des gens, les expositions, les congrès d’ouvriers, la facilité des moyens de transport, etc., qui tendent à abaisser les barrières entre les peuples. « Le rapprochement entre toutes les races civilisées sera l’œuvre de la classe ouvrière. » Le principe des nationalités est arrivé à son apogée, il est appelé à s’émousser désormais et à disparaître, à céder la place à la question sociale, qui dominera bientôt le monde.


IV. — LA FEMME ET LA FAMILLE.

Le socialisme révolutionnaire, outre qu’il prétend modifier l’état économique et l’ordre politique de la société, aspire à transformer aussi les mœurs, la famille, la condition des femmes. Il se donne pour une panacée, un spécifique, contre tous les maux qui affligent les sociétés.

La théorie historique de Marx et d’Engels, c’est que le changement des circonstances matérielles se répercute dans toute l’organisation sociale : propriété privée, héritage, constitution de la famille, s’enchaînent et s’enchevêtrent ; toucher à l’une de ces institutions, c’est altérer l’autre. Le système actuel, consacrant l’inégalité des droits de la femme et de l’homme, la soumet et la subordonne à celui-ci. Le programme de Gotha réclamait pour la femme l’égalité absolue, la complète émancipation. Liebknecht au congrès de Halle a maintenu expressément cette exigence du parti. Bebel, dans le plus volumineux de ses écrits, qui a atteint dix éditions[1], exprime les idées courantes parmi les démocrates socialistes sur la question. Voici la thèse.

C’est par la femme que l’esclavage a commencé dans le monde. Ainsi que tous les misérables qui aspirent à la délivrance, elle s’est attachée passionnément au christianisme, qui méprisait en elle l’Eve séductrice, la première cause du péché dans le monde, et qui en a fait sa propre servante et la servante de l’homme. Bebel cite les docteurs pédantesques du christianisme qui ont en effet assigné à la femme un rôle subalterne, mais il oublie que le christianisme poétique des foules l’a divinisée dans la figure de la Vierge-Mère, le plus haut idéal féminin que l’humanité ait jamais

  1. Die Frau und der Sozialismus, von August Bebel, 10e édition. Stuttgart, 1891.