Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/942

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant d’appliquer à la société humaine les lois économiques de Karl Marx, Bebel commence logiquement par l’améliorer suivant les lois de la sélection, déjà pratiquées à Lacédémone, bien que les termes darwiniens ne fussent pas inventés. Il crée une race d’hommes pur sang. Dans l’état socialiste, le vil intérêt d’argent ne présidant plus au mariage, les enfans naîtront doués comme le sont d’ordinaire les enfans de l’amour. Une fausse pudeur n’empêchera plus d’étudier les lois scientifiques de la génération. Le point cardinal de la question sociale, c’est le rapport de la population et des moyens de subsistance. Selon Malthus et Darwin, si on ne restreint pas l’accroissement de la population, s’il y a plus d’hommes que la terre n’en peut nourrir, il n’en résultera que lutte et misère, tous les efforts pour la prospérité sociale resteront sans résultat. Mais il y a encore bien des territoires à défricher, la chimie rendra assimilables de nouvelles substances nutritives. Enfin, la loi de Malthus est réfutée par ce fait que les peuples les plus riches, ceux où abondent les élémens de subsistance, sont ceux qui s’accroissent le moins. Rendez les hommes plus prospères, et ils auront moins d’enfans. Stuart Mill démontre que, dans l’état socialiste, le rapport de la population et de la nourriture serait mieux en équilibre que dans toute autre forme de société.

Une fois la race améliorée par la sélection, Bebel la perfectionne par l’éducation intégrale, universelle ; il chasse du monde l’ignorance et la superstition. L’individualité de chacun se développera librement, toutes les vocations s’épanouiront au soleil. La foule inconnue des Goethe et des Léonard de Vinci, qui ne peut aujourd’hui se révéler faute d’instruction première, n’ira plus, comme dans l’idylle de Gray, dormir ignorée sous le gazon d’un cimetière de village. Plus de ces existences faussées et manquées qui pullulent aujourd’hui : tel professeur allemand serait bien plus apte à ressemeler de vieilles bottes, tel bottier enseignerait à merveille du haut de la chaire s’il avait reçu seulement la préparation nécessaire.

Après la génération et l’éducation, la tâche de la société de l’avenir sera d’organiser le travail. Il deviendra obligatoire pour tous : ne l’est-il pas aujourd’hui pour l’immense majorité ? La parole de l’apôtre : « Quiconque ne travaille pas ne doit pas manger, » deviendra une vérité. Mais comment se feront, dans le paradis des socialistes, le choix des professions et le partage des produits ? C’est là le point le plus épineux. Si on laisse les choix libres, tous les fainéans voudront être poètes ; si les professions sont imposées, quelle tyrannie ! — Mais, réplique Bebel, ne le sont-elles pas dans votre société bourgeoise ? Tient-elle compte des vocations ? Demande-t-on au citoyen s’il lui plaît d’être soldat ? Nous rendrons le travail court, varié, attrayant, productif. Le travail matériel ne