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ils pourraient, eux, ces mineurs, qui se font les chefs du mouvement, paralyser arbitrairement l’activité humaine, mettre en interdit les industries, en suspendant par un mot d’ordre la production de la houille, l’industrie qui est, comme on l’a dit plus d’une fois, le pain de toutes les autres, qui alimente toutes les autres ! C’est cependant ce qui a été discuté publiquement pendant quelques jours, comme la chose la plus simple du monde ; c’est ce qui est nouveau et ce qui est assurément le signe d’une étrange confusion dans les esprits. — On n’en est pas encore là, dira-t-on, on n’est pas si près de la grève générale, de la révolution universelle par la mobilisation à jour fixe des forces du prolétariat international. On n’en est pas là sans doute, si on le veut. L’idée n’est pas moins lancée dans le monde et on ne la combattra que par une politique décidée à ne pas encourager par d’apparentes complicités des chimères ruineuses pour les ouvriers eux-mêmes, comme pour la fortune des nations.

Questions sociales, grèves, revendications ouvrières, manifestations et congrès ont aujourd’hui le privilège d’être un des élémens de la politique universelle. Ils sont une partie de la politique ; ils ne sont pas évidemment toute la politique dans la plupart des pays de l’Europe où s’agitent bien d’autres problèmes de diplomatie, d’organisation intérieure, de finances, de commerce et où la première difficulté est le plus souvent de vivre, d’assurer la paix si on le peut, de faire face aux incidens de chaque jour, de trouver une majorité dans les parlemens là où il y a des parlemens. C’est ainsi un peu partout, même en Allemagne où l’élection de M. de Bismarck au Reichstag, si elle se réalise, ne laissera peut-être pas d’être une complication, à moins qu’elle ne reste une revanche de fantaisie ou une singularité de ce puissant vaincu. C’est ainsi surtout en Autriche, où le récent renouvellement du Reichsrath a créé une situation parlementaire qui n’est pas des plus simples, des plus claires. Si l’habile premier ministre de Vienne, le comte Taaffe, avait cru reconquérir une majorité par le scrutin et, avec quelques satisfactions données aux partis, s’assurer les moyens de raffermir sa position, il s’est visiblement fait illusion. Il n’a rien conquis, il n’a rien raffermi. Il reste aussi embarrassé que jamais, n’ayant d’autre ressource que sa dextérité de tacticien, au moment où le nouveau Reichsrath vient de se réunir à Vienne et d’être inauguré par l’empereur François-Joseph.

Ce n’est pas que, dans l’intervalle entre les élections qui datent déjà de quelques semaines et la réunion du Reichsrath qui est d’hier, le comte Taaffe soit resté inactif. Il a essayé, au contraire, de tirer tout le parti possible d’une situation obscure et difficile. Il avait perdu la principale force de sa majorité en perdant les vieux Tchèques battus presque partout en Bohême par les jeunes Tchèques. Il s’est mis à la recherche de combinaisons nouvelles, non pas pour recomposer une majorité