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Magdebourg, que l’on continue à ouvrir le théâtre à quatre heures et demie ou cinq heures. A Berlin, les spectacles commencent à sept heures ; il est même question de les faire commencer à huit. La vieille tradition d’exactitude militaire, elle aussi, disparaît. Sept heures, dans les théâtres de Berlin, ce n’est plus, comme autrefois, sept heures sonnantes, c’est sept heures un quart, à la façon parisienne.

Le pis est que ce ne sont point là les seules traditions du vieux théâtre allemand qui menacent de sombrer. Je m’en aperçois aujourd’hui en écoutant le Freischütz. L’exécution est médiocre, sans presque plus de trace du soin, de la conscience, de la patiente application de naguère. L’orchestre joue en mesure, mais avec un laisser-aller manifeste. Les acteurs passent une partie de leurs rôles, introduisent de leur gré des roulades dans le chant et des calembours dans le livret. Et il en est de même pour toutes les pièces classiques, pour Don Juan, pour la Flûte enchantée, pour ce Fidelio, que les grands théâtres allemands semblent, en vérité, désapprendre d’année en année.

Les opéras de Wagner, qui tiennent l’affiche quatre jours sur sept, sont traités avec plus d’égards. C’est pour eux qu’on réserve ces chanteurs fameux que l’empereur a fait venir de tous les coins de l’Allemagne. Mais ces chanteurs sont venus à Berlin déjà âgés, un peu fatigués, et ils croient pouvoir se reposer, et ils ont vite fait de perdre un talent gagné surtout à force de travail.

Pour les opéras classiques, la consigne est de ne pas se mettre en frais. Aussi bien le sans-gêne des auditeurs égale-t-il celui des exécutans. Il y a ce soir, dans la salle, trois cents personnes, la plupart gratifiées d’entrées de faveur. Le public berlinois ne va pas à l’Opéra, sauf pour entendre Wagner. Son véritable théâtre d’opéra, c’est le théâtre Kroll, dans le Thiergarten, une des curiosités de Berlin.

Le théâtre Kroll est situé au milieu d’un grand jardin-brasserie où il y a concert de musique militaire tous les soirs d’été. L’entrée du jardin coûte un mark : moyennant ce mark, on a droit d’assister à la représentation du théâtre, pourvu qu’on consente à rester debout et que l’on vienne assez tôt pour trouver de la place. Aussi, dès quatre heures, le théâtre est-il plein d’une foule qui se presse là, jouant des pieds et des coudes, et qui ensuite se tient immobile, deux heures et davantage, attendant sans impatience le lever du rideau. C’est là que tout Berlin vient entendre l’opéra : pas de soir où la salle ne soit comble longtemps à l’avance.

Ce théâtre joue les opéras de Rossini, de Meyerbeer, de Lortzing ; mais personne ne fait attention à la pièce qu’on joue, ni à la