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Ainsi, rien dans la religion ne sépare radicalement l’Aryen et le Sémite ; rien ne révèle en eux des instincts fatalement divergens. Entre leurs notions du divin, plus de différences irréductibles. Or, c’était sur le contraste de leurs conceptions religieuses qu’on faisait reposer l’antagonisme de la pensée aryenne et de la pensée sémitique. Cette prétendue opposition écartée, que reste-t-il, au point de vue intellectuel ou moral, du gouffre naguère creusé entre le monde de Sem et le monde de Japhet ? A peine un fossé, que les études contemporaines vont comblant chaque jour.

Lorsqu’on nous parle des Sémites, il faut au moins nous avertir de quels Sémites, car, entre ces derniers, nous apercevons des différences presque aussi grandes qu’entre eux et les Aryas. « Le génie sémitique, a écrit un maître en ces matières[1], est essentiellement simple ; il ne comprend ni les nuances, ni la complexité. Le vieil esprit sémitique est, de sa nature, antiphilosophique et antiscientifique… Les peuples qu’on appelle sémitiques manquent de cette variété, de cette largeur, de cette étendue d’esprit qui sont les conditions de la perfectibilité. » Cela peut être vrai des Arabes, en dépit des écoles de Bagdad ou de Cordoue, peut-être même des anciens Hébreux ; mais est-ce vrai des juifs modernes, élevés ou grandis à notre contact ? S’il y a une différence entre l’Européen et l’Asiatique, entre les Occidentaux et l’Oriental, — différence de date assez récente, du reste, et qui ne me semble pas tenir à la race, — c’est bien l’idée du progrès, cette notion moderne de la perfectibilité, devenue, autour de nous, comme une foi aveugle à laquelle croient superstitieusement savans et ignorans. Mais tout montre que cette idée du progrès n’a rien qui répugne au juif. S’il ne l’a pas tirée de son propre fonds, le juif s’en imprègne sans peine, jusqu’à en devenir un des plus ardens et des plus impatiens propagateurs. Tour ce qui est de l’esprit philosophique, il me paraît malaisé de le refuser aux congénères de Spinoza. Peut-on, du reste, juger des peuples contemporains, ou des races vivantes, par leurs ancêtres des plus lointaines périodes de l’ancienne histoire ? Quand les Hébreux de la Palestine eussent été de purs Sémites, serait-on en droit d’assimiler le juif de nos jours aux Beni-Israël, ou aux Sémites syriens d’il y a deux ou trois mille ans ? Mieux vaudrait appliquer aux Français tous les traits des Gaulois des Commentaires de César, ou peindre les Allemands

  1. M. Renan, Mélanges d’histoire et de voyages ; — les Peuples sémitiques, cf. Histoire générale des langues sémitiques, p. 1, 20.