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part, de la propagande juive. En cela encore, le judaïsme a été le devancier, et comme le pionnier du christianisme ; il lui a frayé la voie en Occident, aussi bien qu’en Orient. Il lui avait ouvert, d’avance, les portes de la gentilité, en affiliant à la loi de Moïse des païens de toute nation. C’est dans les synagogues, parmi les colons d’Israël et parmi les prosélytes des juifs, que les apôtres ont recruté leurs premiers disciples[1]. Le juif contemporain des Asmonéens et des Hérodes n’avait point pour le prosélytisme l’aversion témoignée plus tard par les rabbins. Loin de là, les juifs hellénistes, en contact avec les Gentils, cherchaient à gagner au culte du vrai Dieu le Grec et le barbare. N’osant, pour les convaincre, faire parler Isaïe ou Daniel, les Alexandrins avaient remplacé les prophètes par les vieilles sibylles, chargées de prêcher aux païens l’unité de Dieu et la venue du Messie, avec la gloire future d’Israël[2].

Le monde classique n’était pas sourd à la voix de ses oracles transformés en échos de Sion ; il éprouvait pour le monothéisme d’Israël une attraction qui, de l’ancienne loi, se détourna bientôt vers la nouvelle[3]. Juifs, Grecs ou Latins, les auteurs anciens en tombent d’accord. « De grandes multitudes, dit l’historien Josèphe, sont prises de zèle pour notre manière d’adorer Dieu, si bien qu’il n’y a pas une seule ville, grecque ou barbare, il n’y a pas une nation où ne se pratique l’usage du sabbat, de nos jeûnes, de nos lampes, de nos prescriptions relatives à la nourriture[4]. » La Judée palestinienne n’était plus guère alors que le noyau du judaïsme. L’audacieuse prédiction des prophètes parut un instant sur le point de s’accomplir : il semblait que les peuples allassent se mettre en route pour venir adorer à Jérusalem. Les sibylles ne s’étaient pas trompées : Isis, Sérapis et les dieux des nations devaient succomber devant le Dieu d’Israël. Si le monde ne fut devenu chrétien, il fût peut-être devenu juif.

  1. Le fait est constaté mainte fois par les Actes des apôtres, passim.
  2. Gaston Boissier, la Fin du paganisme, t. II, p. 23, 24 ; Hachette, 1891. — Les livres sibyllins ont été généralement composés par des juifs.
  3. Voyez notamment Renan : les Origines du christianisme, t. V, p. 227 et suiv. ; cf. Kuenen : Judaïsme et christianisme (Revue de l’Histoire des religions, t. VII, n° 2, 1883, p. 208, n° 9). — Graetz : Die jüdischen Proselyten im Römerreich (Breslau, 1884). — Isr. Sack : Die Altjüdische Religion (Berlin, 1880), p. 384-87.
  4. Josèphe : Contre Apion, II, 39. — L’assertion de l’écrivain juif est confirmée par l’auteur chrétien des Actes des apôtres (II, 5) : « Or, il y avait en séjour à Jérusalem des juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel. » Suit une énumération où figurent tous les peuples anciens, des Mèdes et des Parthes aux habitans de Rome, et, dans cette foule, l’écrivain sacré mentionne expressément les « prosélytes » à côté des juifs proprement dits : « Et ceux qui sont venus de Rome, juifs et prosélytes. » (Actes, II, 10.) — De même, dans les villes et les synagogues d’Asie et d’Europe, où prêchent les apôtres, les Actes signalent partout les prosélytes à côté des juifs d’origine ; ainsi XIII, 17 ; XIV, 1 ; XVI, 14 ; XVII, 4 et 17 ; XVIII, 4 et 7, etc.