Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

textes forcent à croire que, en Orient comme en Occident, un grand nombre des juifs de l’antiquité descendaient de païens convertis. Ces israélites n’étaient que les fils adoptifs d’Abraham et de Jacob. A Rome même, les juifs dont nous pouvons visiter les catacombes sur la voie Appienne, ou sur la via Portuensis, n’avaient peut-être pas beaucoup plus de sang sémitique que leurs voisins chrétiens des cimetières de Calixte ou de Pontien, dont les plus anciennes inscriptions sont, elles aussi, en langue grecque.

Nous ne pouvons donc plus nous représenter Israël comme un ethnos, pur de tout mélange, d’autant que, à son berceau même, les Asmonéens et les Hérode, pratiquant le compelle intrare, avaient introduit dans le judaïsme, par la circoncision, de nombreuses populations de l’Idumée, de l’Iturée, du Hauran et des régions syriennes voisines. L’afflux de sang étranger n’a même pas pris fin à l’époque talmudique, alors qu’Israël vaincu se resserra sur lui-même. Après avoir été sur le point de devenir une religion universelle, le judaïsme en effet redevint, de nouveau, un culte national. Les docteurs, craignant de voir Juda se dissoudre dans les nations ou se fondre dans le christianisme, se plurent à isoler le juif. « Les prosélytes furent traités de fléau, de lèpre d’Israël. » La synagogue, se concentrant en elle-même, ferma ses portes ; mais malgré la répugnance des rabbins, nombre de prosélytes s’y glissèrent encore, aux extrémités surtout du monde juif. On trouve des juifs recrutant des convertis en Arabie ; des tribus arabes passent tout entières à la loi de Moïse. Mahomet, tout le premier, est le disciple des juifs, et l’Islam n’est qu’une adaptation grossière du judaïsme. En Europe même, des missionnaires juifs disputent aux missionnaires chrétiens les régions ponto-caspiennes. Vers le VIIIe siècle, au nord de la Mer-Noire, dans les steppes scythiques, un peuple de souche finno-turque, les Kozars ou Khazars passent en corps à l’ancienne loi[1]. Ce n’est peut-être pas le seul exemple de pareilles conversions sur les confins de l’Europe et de l’Asie. A Tiflis, on m’a cité une tribu juive du Caucase, de mœurs guerrières, qui, par le type comme par les habitudes, diffère des autres

  1. D’après la Chronique dite de Nestor (chap. XL), des juifs khazars proposèrent à Vladimir, grand-prince de Kief, alors encore païen, d’embrasser, lui aussi, le judaïsme. On trouve dans les Monumenta historica Poloniœ de Bielowski (t. I, p. 50 et suiv.) une lettre du roi khazar Joseph au rabbin de Cordoue, Kazdaï, où le chef khazar dit formellement : « Nos pères ont reçu la foi Israélite ; Dieu leur a ouvert les yeux, » et il raconte comment s’est effectuée la conversion d’un de ses prédécesseurs, après une sorte d’enquête sur les diverses religions, analogue à celle prêtée par la Chronique de Nestor au Russe Vladimir ; cf. L. Léger : Cyrille et Méthode. — Quelle que soit l’authenticité de la lettre du khan Joseph, le passage des Khazars au judaïsme ne fait aucun doute.