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autres israélites depuis vingt-cinq siècles, rien de bien caractéristique. Ils me parurent seulement plus grands, plus forts, plus sains d’apparence que les juifs orthodoxes du voisinage. Au point de vue physique, ces Samaritains qui, avant cent ans peut-être, auront disparu, ont incontestablement l’avantage sur leurs frères ennemis de Judée ; peut-être parce que, n’ayant point passé par le douloureux exode de ces derniers, ils ont moins souffert et ont été moins dégradés. Nous savons, par la Bible, que les Samaritains proviennent d’un mélange d’Hébreux et de colons assyriens, établis sur le territoire de Samarie. S’il n’en reste pas un plus grand nombre, c’est peut-être que beaucoup d’entre eux sont peu à peu rentrés au giron du judaïsme orthodoxe.

Bien que détachés du tronc d’Israël douze ou quinze siècles plus tard, les Karaïm[1] que j’ai visités, ceux de Grimée, du moins, m’ont paru plus différens des autres rameaux de Jacob. A les en croire, ils seraient les seuls représentons du pur mosaïsme, les autres juifs, les talmudistes, ayant substitué à l’autorité de la Bible celle des rabbins. On dit la secte née au milieu du VIIe siècle en Babylonie, alors encore le principal centre intellectuel d’Israël. Après avoir, autrefois, compté de nombreuses communautés en Asie, en Europe, en Afrique même, ces protestans du judaïsme ne sont guère, aujourd’hui, que cinq ou six mille, dont plus de la moitié est groupée en Grimée. Eux aussi, probablement, se sont peu à peu fondus avec les juifs orthodoxes ; ils ont été résorbés par le judaïsme talmudique. J’ai fait, dans la montagne, au-dessus de Baktchi-Saraï, la ville tatare, un pèlerinage à Tchufut-Kalé, la ville morte des Karaïm, et à l’antique cimetière voisin qu’ils appellent leur vallée de Josaphat. La Jérusalem des juifs de Tauride est aujourd’hui déserte ; ses habitans sont descendus dans la plaine, et ses maisons sont en ruines. Les Karaïm y ont conservé une synagogue, où ils montent à certaines fêtes. J’y ai trouvé, au milieu de fragmens d’anciens manuscrits et de rouleaux à demi effacés de la Thora, un vieux rabbin à barbe blanche, qui semblait l’image de sa religion expirante. Ces Karaïm de Grimée, restés en partie cultivateurs, n’ont presque rien du type juif. Ils ressemblent plutôt à leurs voisins tatares de Baktchi-Saraï. Leurs traits ne paraissent pas plus sémitiques que beaucoup des noms gravés sur les pierres tombales de leur sauvage vallée de Josaphat.

Dans cet antique cimetière de Tauride, Firkovitcha découvert des inscriptions hébraïques du VIIIe siècle, portant en hébreu des noms

  1. Karaïm ou karaïtes, de kara (lire) ou mikra (Bible), parce que, à l’opposé des juifs, dits rabbanites, ils n’admettent d’autre autorité que celle de l’Ancien-Testament, repoussant la tradition et les décisions rabbiniques.