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exclusivement composée d’israélites de l’Est ou du centre de l’Europe. Il y a de ces auberges ou de ces restaurans juifs dans les grandes villes d’eaux, à Vichy notamment ; j’en connais à Paris même. Pour le catholique ou le protestant en voyage, l’important est d’avoir une église ou une chapelle, avec un prêtre qui lui dise la messe le dimanche, ou un pasteur qui lui récite un sermon. Pour le juif le plus dévot, la synagogue est chose secondaire ; l’essentiel, c’est la boucherie et le shohet.

Les observances rituelles et les prescriptions sur la nourriture n’ont pas été seules à entretenir chez les juifs l’esprit de tribu. Le culte y a peut-être autant contribué que la loi. Il est encore tout imprégné des souvenirs de Jérusalem ; il a gardé, à travers les siècles, un caractère national ; ses fêtes et ses jeûnes ne sont, pour la plupart, que la commémoration des joies ou des deuils d’Israël. Après dix-huit cent vingt et un ans, il ne se lasse pas de pleurer sur la ruine du Temple. Cette empreinte nationale, le Talmud et les rabbins, au lieu de la laisser effacer par la rouille des siècles, se sont scrupuleusement appliqués à la conserver, ou à la raviver. Comme aux jours des Machabées, la piété juive a longtemps ressemblé à une ferveur patriotique, le souvenir de Sion étant redevenu toute la patrie d’Israël. Juda a été ramené, en quelque sorte, au particularisme, national et religieux, des anciens Hébreux. Comme le jahvéisme primitif, le judaïsme talmudique est redevenu un culte de tribu. C’est, lui aussi, une religion nationale, ou, si l’on aime mieux, « ancestrale. » A cet égard encore, il est en opposition avec le christianisme, qui, par la bouche de Paul, s’est présente au monde comme une religion universelle, n’appartenant en propre à aucun peuple. Avec le ritualisme talmudique, la religion, épurée et élargie par les prophètes, s’est matérialisée à la fois et rétrécie. Pour nombre de juifs, Jéhovah semblait moins le Dieu unique et universel d’Isaïe et de Jérémie que la divinité tutélaire des Beni-Israël. C’était le Dieu du monde ; mais c’était, avant tout, le Dieu du juif, le Dieu de ses pères, Isaac et Jacob.

Il y aurait mauvaise grâce à nous en scandaliser, car, en dépit de l’esprit de la loi nouvelle, en dépit même du beau nom de catholique, plus d’un peuple chrétien a, lui aussi, apporté dans sa piété envers le Rédempteur des hommes une sorte de particularisme national. Le Moscovite de la sainte Russie, le Castillan de la catholique Espagne, l’Anglais de l’île des Saints, le Français même de la France très chrétienne, ne s’est-il pas souvent regardé comme une sorte de nouveau peuple de Dieu, auquel le Christ, la Vierge et les anges marquaient, du fond des cieux, une prédilection et une protection spéciales ? Et le protestant, le puritain d’Ecosse ou