bout, un commerce ou un échange d’idées, il serait temps enfin de s’en apercevoir, et, s’en apercevant, il serait bon de subordonner l’histoire des littératures particulières à l’histoire générale de la littérature de l’Europe. Une idée naît en France, et de là passe en Italie ; les Italiens s’en emparent, ils l’élaborent à leur tour, ils la transforment, et nous la renvoient transformée ; nous la reprenons alors, nous y ajoutons de notre fond, après un long intervalle, ou nous en retranchons, de notre autorité, du droit que nous avons de nous mettre dans nos œuvres, ce qu’il nous faut pour nous l’approprier ; puis ce sont les Anglais qui surviennent, à moins que ce ne soit l’idée qui émigré : nouvelle évolution et nouvelle métamorphose ; pour s’inspirer de Boileau, qui s’était lui-même inspiré de Vida, et tous les deux d’Horace, Pope n’est pas moins original, et lorsque Voltaire, revenant d’Angleterre, nous en rapporte Pope, il n’est pas moins original, moins Français, moins Voltaire aussi lui.
- Sic alid ex alio nunquam desistit oriri.
Rien ne se perd, tout se transforme ; une même idée prend diverses formes, une même forme s’applique à différentes idées ; rien ne cesse aussi d’évoluer, de devenir autre en restant le même jusqu’à ce qu’il en devienne quelquefois le contraire ; et tout cela, c’est le mouvement, c’est la vie, c’est l’histoire d’une littérature européenne dont les littératures nationales ne sont que les manifestations locales.
Si l’on se plaçait à ce point de vue pour étudier l’histoire de la littérature française, elle n’en paraîtrait ni moins originale ni surtout moins classique ; et j’ose bien ajouter qu’on la renouvellerait en partie… J’insisterais sur ce point, si je ne craignais de passer les bornes où je veux m’enfermer, et de mêler la question de l’enseignement des littératures étrangères à celle de l’enseignement purement français.
Mais en restant dans ces bornes mêmes, on peut se proposer d’introduire cet élément de vie dans l’histoire particulière de la littérature française ; et j’en vois deux ou trois moyens.
Par exemple, on pourrait alléger l’histoire de la littérature française d’une foule d’œuvres et de noms qui l’encombrent sans titre ni raison suffisante. Si déjà l’histoire d’un genre, — de la comédie française ou du roman anglais, — n’a pas à tenir compte de tous les romanciers ni de tous les auteurs comiques, à plus forte raison l’histoire d’une littérature. Dirai-je qu’il faut qu’elle coure de sommets en sommets ? Non, sans doute ; ou du moins je n’oublie pas que la hauteur des sommets se mesure à la profondeur des vallées. Mais enfin ce qu’il faut qu’on connaisse d’abord, c’est la configuration générale de la carte, où il