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vieille enceinte des canons et de la coutume, un pouvoir extraordinaire qui n’est limité par aucune coutume ni par aucun canon[1], une autorité plénière et absolue, un droit au-dessus de tous les droits, en vertu duquel, dans des cas qu’il détermine lui-même, il pourvoit d’une façon discrétionnaire aux intérêts catholiques, dont il devient ainsi l’arbitre suprême, l’interprète unique et le juge en dernier ressort. Un précédent indestructible était posé ; dans l’édifice moderne de l’Église, c’était la grosse pierre d’angle et d’attente ; sur ce fondement définitif, les autres pierres allaient se superposer, une à une. En 1801, sous la pression de Napoléon régnant, Pie VII avait fait descendre de leurs sièges les prélats d’ancien régime, entachés d’origine monarchique et suspects de zèle pour les Bourbons détrônés. En 1816, sous la pression des Bourbons rétablis, le même Pie VII faisait descendre de son siège le cardinal-archevêque de Lyon, Fesch, oncle de Napoléon déchu[2]. Dans les deux cas, la situation était pareille, et dans le second cas, comme dans le premier, des motifs du même ordre autorisaient le même usage du même pouvoir.

Mais la situation, en se prolongeant, multipliait, pour l’Eglise, les cas d’urgence, et, pour le souverain pontife, les cas d’intervention.— Depuis 1789, tout l’ordre civil, constitutionnel, politique, social et territorial est devenu singulièrement instable, non-seulement en France, mais en Europe, non-seulement dans l’ancien continent, mais aussi dans le nouveau. Sous les coups et les contre-coups indéfiniment propagés et répercutés de la philosophie du XVIIIe siècle et de la révolution française, des états souverains se sont effondrés par centaines ; d’autres, par dizaines, se sont élevés à leur place, et des dynasties différentes s’y sont succédé : ici des populations catholiques sont tombées sous la domination d’un prince schismatique ou protestant ; là, tel pays catholique,

  1. Prœlectiones juris canonici habitœ in seminario Sancti Sulpicii, 1867 (par l’abbé Icard), I, 138. « Sancti canones passim memorant distinctionem duplicis potestatis quà utitur sanctus pontifex : unam appellant ordinariam, aliam absolutam, vel plenitudinem potestatis… Pontifex potestate ordinaria utitur, quando jurispositivi dispositionem retinet… Potestatem extraordinariam exscrit, quando jus humanum non servat, ut si jus ipsum auferat, si legibus conciliorum deroget, privilegia acquisita immutet… Plenitudo potestatis nullis publia juris regulis est limitata. » — Ibid., I, 333.
  2. Bercastel et Henrion, XIII, 192. Le cardinal Fesch ayant été banni de France par la loi du 12 janvier 1816, « le pape ne regarda plus la personne du cardinal, mais son diocèse qu’il fallait sauver à tout prix, on vertu du principe salus populi suprema lex. » En conséquence, il interdit au cardinal « l’exercice de la juridiction épiscopale dans son église métropolitaine, et constitua M. de Bernis administrateur de cette église, tant au spirituel qu’au temporel, nonobstant toute constitution décrétée même par les conciles généraux, les ordonnances apostoliques, les privilèges, les induits, etc. »