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La particularité la plus remarquable dans l’histoire de l’Apchéron, c’est qu’il fut le berceau d’une des plus vieilles religions du monde : c’est là qu’est né le culte du feu, le mazdéisme de Zoroastre. Les flammes qui sortent du sol brûleraient, suivant les fidèles, depuis le déluge et ne s’éteindront qu’à la fin du monde. Quoi qu’il en soit, il est certain que, depuis vingt-cinq ou trente siècles, l’Apchéron et ses flammes étaient célèbres chez les peuples de l’antiquité. Les sanctuaires du plateau de Sarachane ou Sourakhané étaient les lieux saints des adorateurs du feu : c’est là que les mages avaient dressé leurs autels, si fréquentés jusqu’au XIIe siècle de notre ère, c’est-à-dire jusqu’à la consommation de l’invasion musulmane.

Déjà, en 624, le mazdéisme avait reçu un coup terrible : l’empereur Héraclius, vainqueur des Perses dans les steppes du Moughan, envahit l’Apchéron, et, par représailles de la prise de Jérusalem, détruisit les temples du feu. Douze ans après, les Arabes entraient en Perse, et, dès lors, la décadence irrémédiable du mazdéisme commença. Pourtant, une partie des fidèles se réfugièrent dans l’île d’Ormuzd, et quelques autres s’enfuirent jusque dans l’Hindoustan, où ils firent de nombreux prosélytes. Ce ne furent pas les moins fervens, comme le prouve un récit parfaitement authentique de M. Ney : « En 1856, dit-il, M. Bourée étant ministre de France en Perse, le choléra éclata avec violence à Téhéran. Aussitôt, suivant l’usage, tous les Persans aisés abandonnèrent la ville et allèrent camper dans les plaines, à une distance de 25 ou 30 kilomètres. La légation française suivit naturellement cet exemple.

« Un soir, l’on vit arriver au « camp » français deux hommes portant le costume parsi, maigres, déguenillés, affreusement hâlés. On les interrogea. Ils racontèrent que, depuis trois ans, ils recherchaient, pour y faire leurs dévotions, le temple du Feu, qu’ils savaient se trouver près d’un grand lac. Ils avaient quitté Bombay pour faire ce pèlerinage. Longtemps ils avaient suivi la côte, puis ils s’étaient perdus dans le Thour, ou désert hindou ; ils avaient traversé le Béloutchistan, et maintenant ils erraient dans la Perse sans pouvoir trouver leur chemin. Cependant, ils avaient appris qu’à Téhéran ils trouveraient quelques-uns de leurs coreligionnaires, et ils espéraient en tirer des renseignemens… Notre ministre voulut les retenir quelques jours pour les interroger de nouveau : ils s’y refusèrent. Après quelques heures de repos, les deux guèbres reprirent leur bâton de voyage et disparurent bientôt dans la direction de la mer Caspienne, où ils avaient enfin la certitude de retrouver le temple si désiré de Bakou. »

Le temple de Sourakhané, à 15 kilomètres au nord-est de Bakou,