Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voisins menacés d’inondation et d’incendie se plaignirent, et, comme le puits ne pouvait être exploité, MM. Orbelovi se décidèrent à l’incendier. Il est triste de reconnaître que c’était le parti le plus sage. Un autre danger consiste dans la pluie de pierres qui se produit quelquefois pendant les trois ou quatre heures qui suivent l’achèvement du forage ; celles de ces pierres qui ne sont pas projetées au dehors obstruent l’orifice du puits, et le forage est à recommencer.

MM. Nobel frères ont eu plusieurs puits jaillissans dignes à tous égards de figurer à côté de ceux que nous citions tout à l’heure ; il faut, d’ailleurs, reconnaître qu’ils exploitent très habilement leurs puits ; M. Marvin estimait à 35 millions la valeur du pétrole qui jaillit en 1883 du fameux Droojba, le plus abondant après celui de Taghief, et dont une partie fut perdue. C’est pour diminuer l’importance de ces pertes que M. Marvin réclame l’intervention de l’État, et propose de mettre tous les puits jaillissans sous son contrôle ; dans sa pensée, cette intervention ne serait que temporaire, et cesserait dès l’instant où des industriels, comme MM. Nobel frères, seraient capables de s’en passer sans inconvéniens.

Pour tout ce qui concerne les puits jaillissans, nous renvoyons aux célèbres travaux du professeur russe Guelishambarof et de M. Marvin dans son livre sur la région of the Eternal Fire. Il est temps pour nous d’arriver aux puits ordinaires, moins beaux à voir, sans doute, mais de meilleur rapport que les sources jaillissantes. On ne les exploite pas avec des pompes comme aux États-Unis, à cause de la composition sablonneuse du terrain ; on se contente d’employer des tuyaux suspendus à de longs câbles mus par la vapeur ; la capacité moyenne de ces tuyaux est de 300 à 400 kilogrammes de naphte. Les puits ordinaires durent beaucoup plus longtemps que les autres, et leur production est énorme, puisqu’on en retire par jour près de 100,000 kilogrammes.

Certains puits donnent en même temps de l’eau salée ; d’autres ne donnent même que de l’eau salée et de la fange ; tous les Irais de forage sont alors perdus. Les traces de naphte que l’on trouve en creusant les puits sont quelquefois trompeuses ; ou bien encore on a vu l’entrepreneur, découragé de n’aboutir à aucune découverte d’huile, céder à vil prix le puits creusé, et l’acheteur rencontrer quelques mètres plus bas une source abondante : c’est le cas du puits de Baïlof, dont le premier propriétaire se tua de désespoir en apprenant la chance de son successeur. C’est ainsi que des aventures analogues à celles dont les habitués de Monaco sont si fréquemment témoins peuvent se reproduire dans le plus aride et le moins enchanteur des pays : l’or n’a pas d’odeur, même dans la péninsule d’Apchéron, dans la région bénie du pétrole !