Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le monopole, concédé aux frères Mirzoïef, Arméniens, rapportait par an au gouvernement, de 250 à 300,000 francs, somme insignifiante, relativement au dommage apporté par ce régime à l’industrie pétrolifère. Nous avons dit qu’il fut aboli en 1872, et que la production doubla aussitôt ; mais cette mesure, prise si tard, n’aurait peut-être pas porté tous les fruits qu’on en devait attendre, si la famille Nobel n’était venue se fixer à Bakou. Sans nous croire obligé, comme M. Marvin, de consacrer plusieurs chapitres à la biographie de ces hommes si remarquables, Robert, Ludwig, Alfred, Emmanuel Nobel, nous ne pouvons nous empêcher de dire ici combien ils ont rendu de services à l’industrie pétrolifère ; ce ne sont pas seulement les plus célèbres raffineurs de Bakou, ce sont aussi les plus intelligens, les plus empressés à adopter, et souvent les plus ingénieux à inventer des perfectionnemens de toute espèce, à tel point qu’au lieu de distinguer les trois périodes du monopole, du timbre (1872-1877) et du libre exercice, on considère quelquefois : 1° la période d’avant les Nobel, et 2° la période Nobel, séparée de la précédente par l’établissement, à Bakou, de M. Robert Nobel, en 1875. Emmanuel Nobel, le père, avait inventé les torpilleurs ; les deux ingénieurs Ludwig et Robert Nobel, qui s’étaient déjà distingués dans leurs chantiers de la Neva, réalisèrent, avant même de venir à Bakou, une fortune colossale ; enfin, M. Alfred Nobel est connu du monde entier par l’invention de la dynamite (Nobel’s explosive). Nous retrouverons les deux frères Ludwig et Robert à chaque phase de l’histoire industrielle, que nous allons rapidement exposer ; ce sont eux qui ont fondé la célèbre maison, déjà souvent mentionnée ici, Nobel frères.

D’abord, avant la période Nobel, le naphte de Balakhané arrivait à Bakou dans des barils apportés sur des charrettes ou des véhicules bizarres : qu’on se représente deux roues de quatre mètres de diamètre, dont l’essieu supporte une caisse étroite ; dans cette caisse on plaçait le baril, le cocher s’asseyait dessus, et en route pour Bakou ! Le baril n’arrivait pas toujours, en tout cas il n’arrivait pas vite ; des accidens étaient à craindre, enfin, le transport coûtait fort cher, plus de 4 millions par an. MM. Nobel proposèrent à leurs concurrens l’établissement du système actuel ; on refusa. Devant cette résistance, ils prirent le parti d’exécuter leur projet pour leur propre compte, et, au grand désappointement des autres raffineurs, la tentative réussit parfaitement ; écrasés par la concurrence des Nobel, ils durent à leur tour faire poser des tuyaux ; ils avaient perdu beaucoup de temps et gaspillé beaucoup d’argent. Les tuyaux, de 8 à 12 centimètres de diamètre, sont en pente, et le pétrole descend, de lui-même, de Balakhané à Bakou ;