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au besoin, on pourrait employer des pompes à vapeur. On conçoit qu’à partir de cette époque la production s’accrut avec une extrême rapidité : c’était un avantage, c’était aussi un péril.

En effet, avant la construction du chemin de fer transcaucasien, le pétrole était difficilement exporté : si la production doublait, sans que l’exportation trouvât de nouvelles voies, les raffineurs pouvaient craindre un encombrement de kérosine qui eût été la ruine de leur industrie. Il fallait, en attendant mieux, faciliter le transport du pétrole, de Bakou à l’embouchure du Volga, envahir les marchés russes, supplanter ainsi le pétrole de Pensylvanie, et, pour cela, renouveler le matériel de navigation, en même temps qu’il fallait inventer de nouveaux récipiens. Les misérables voiliers qui faisaient le service d’Astrakan étaient dans un état pitoyable ; les barils étaient rares, il fallait employer les barils américains, faute de bois (le bois est rare en Russie et surtout dans l’Apchéron) ; le baril, par les grandes chaleurs, se crevassait et laissait fuir le liquide ; bref, le contenant, si incommode, coûtait souvent plus cher que le contenu.

Que faire ? comme dans le cas des tuyaux, les frères Nobel proposèrent des perfectionnemens ; ils voulurent conclure, avec diverses compagnies de la Caspienne et du Volga, des contrats à long terme pour la construction de bateaux-citernes (tank steamers), qui recevraient directement le liquide sans l’intermédiaire de barils ; cette fois encore, las de se heurter au mauvais vouloir et à la routine, M. Ludwig Nobel fit construire dans ses forges et ses chantiers de la Neva des bateaux-citernes pour transporter son propre pétrole. Ces bateaux accostent le quai de la raffinerie, on les remplit en quelques minutes par l’intermédiaire de tubes ; à Astrakan, on les décharge aussi rapidement, et par le même procédé, dans des wagons-réservoirs, également construits par la maison Nobel ; d’autres bateaux, moins grands, font le service fluvial du Volga. Les bateaux de la Caspienne, longs de 90 mètres et larges de 8, peuvent contenir près de 1,000 tonnes de pétrole ; on en construit aujourd’hui de 1,500 tonnes, pour le service de la mer Noire ; les wagons, dans leurs réservoirs de tôle, en forme de cylindre, contiennent une dizaine de tonnes. Les autres raffineurs imitèrent les frères Nobel, et maintenant plusieurs centaines de bateaux-citernes circulent entre Bakou, Astrakan et la Perse, plusieurs milliers de wagons-réservoirs dans la Russie et le Caucause. Tout danger d’encombrement disparut, et, lorsque la ligne de Batoum fut inaugurée, elle fut extrêmement utile ; mais elle n’était plus nécessaire.

Néanmoins, il se produisit à Bakou plusieurs crises financières et économiques assez graves. Tandis qu’en Occident on croyait à