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droits seigneuriaux, les propriétaires de remettre les fermages qui leur étaient dus. Quarante ou cinquante insurrections éclatèrent en quelques jours sur tous les points de la Provence, le sang coula, des malheureux furent massacrés. A Marseille, l’émeute prit rapidement des proportions inquiétantes pour la sécurité publique. L’hôtel de ville fut assiégé par une foule armée de pistolets et de bâtons qui exigeait la diminution du prix de la viande et du pain. On commença à casser les vitres, à enfoncer les portes, et on ne laissa sortir les officiers municipaux qu’après avoir obtenu satisfaction. La maison de l’intendant et celle du fermier de la ville furent saccagées. Dans la crainte de plus grands désordres, un admirateur de Mirabeau sollicita son intervention. Avec l’agrément du commandant militaire de la province, Mirabeau répondit à cet appel, usa de sa grande popularité pour calmer les esprits et assura provisoirement la paix de la rue en constituant une milice bourgeoise. Il fit plus, il donna un exemple de courage civique en exhortant publiquement le peuple à la modération. Dès les débuts de sa vie politique, les deux tendances de son esprit se dessinent déjà. Hardi dans la lutte contre les abus, il ne l’était pas moins dans la défense de l’intérêt social. Si, malgré son intervention d’un jour, la ville de Marseille continua à être agitée pendant les années suivantes, il n’en est pas responsable. Il avait fait courageusement tout ce qui dépendait de lui pour y rétablir l’ordre.

En revenant de Marseille, Mirabeau fut plus heureux encore à Aix, où la foule menaçait les autorités et pillait les greniers publics. Comptant sur son influence, le gouverneur militaire lui confia la police de la ville. Tout se calma aussitôt, sans qu’il eût d’autres précautions à prendre que de remplacer la troupe par une milice bourgeoise. Quand il eût parcouru les rues à cheval et assuré le peuple qu’il fallait tout attendre de la bonté du roi, on lui obéit ; avec la mobilité et la facilité d’impression des populations méridionales, on se pressait sur ses pas, on versait des larmes, on embrassait ses mains et ses habits, on l’appelait le sauveur et le dieu de la province. La confiance en lui était si grande que la paix fut rétablie pour longtemps.

Quelques jours après avait lieu la nomination des députés aux états-généraux. A Aix, comme on s’y attendait, Mirabeau fut élu le premier des députés du tiers, à une très grande majorité. Il fut élu aussi à Marseille, mais le quatrième seulement après plusieurs tours de scrutin. Il opta naturellement pour la ville qui lui avait donné le plus de suffrages. Il s’en excusa auprès des Marseillais en allant prendre congé d’eux avant de partir pour Paris. Le soir de son départ, quatre cents jeunes gens à cheval, portant des