Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

torches, escortèrent sa voiture qu’ils avaient ornée de chêne et de laurier.


II

Malgré ces services rendus à sa province, Mirabeau arrivait aux états-généraux précédé d’une réputation détestable. Peu de personnes connaissaient le bien qu’il venait de faire, mais tout le monde était au courant des scandales de sa vie. Tout récemment encore, il avait attristé ses meilleurs amis en sacrifiant Mme de Nehra, si dévouée et si bonne, à une femme qui ne la valait pas. La publication de l’Histoire secrète de la cour de Berlin avait été jugée plus sévèrement encore par la société parisienne. Personne ne comprenait qu’un Français chargé d’une mission à l’étranger abusât de l’accueil presque officiel qui lui avait été fait pour déshonorer la cour auprès de laquelle il était accrédité. On le comprenait d’autant moins que l’auteur se vantait d’avoir reçu de bons traitemens des personnages dont il disait le plus de mal. Il ne semblait pas supportable que le prince Henri de Prusse fût récompensé de sa bienveillance par des indiscrétions et des commérages publiés sur son compte. La présence du prince à Paris, au moment de la publication, avait encore augmenté le mauvais effet produit sur le public. La courtoisie française se révoltait de cette double violation des lois de l’hospitalité. Talleyrand, qui avait été avec le duc de Lauzun le correspondant de Mirabeau et son intermédiaire auprès du ministre, ne lui pardonna jamais un procédé si incorrect. La réprobation lut si générale et si vive que, malgré l’extrême tolérance dont on commençait à user envers les écrivains, le parlement fit brûler l’ouvrage par la main du bourreau.

Ce souvenir, qui datait de quelques jours à peine, hantait encore les esprits à la séance d’ouverture des états-généraux. On venait d’applaudir d’abord le duc d’Orléans, puis les députations de Bretagne et de Dauphiné lorsque la députation d’Aix parut. Une timide velléité d’applaudissemens fut aussitôt couverte par un murmure désapprobateur, qui s’appliquait manifestement à la personne de Mirabeau. Quelques jours encore, pendant la période de négociations et d’attente, avant que les états-généraux se fussent constitués en assemblée nationale, le député d’Aix resta isolé, presque tenu en quarantaine. Il s’en plaignait à Dumont de Genève, tantôt avec véhémence, tantôt avec l’accent d’une véritable douleur. Son cœur qui resta toujours bon, malgré ses fautes, souffrait de cet ostracisme. Il avait besoin d’aimer et d’être aimé. Il s’affligeait d’une