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impolitique. Mais les passions étaient trop excitées pour qu’on pût s’arrêter à un moyen terme. Les membres du tiers-état, sentant leur force, veulent aller jusqu’au bout d’une victoire qui ne peut plus leur échapper. Ils avaient commencé par établir un ordre de délibération et par adopter le titre de députés des communes. Comme un général qui étudie son champ de bataille et ses chances de succès, Mirabeau reconnaît tout de suite que la noblesse est irréductible. Ce serait perdre son temps que de conférer avec elle. Mais le salut peut venir des hésitations et des divisions du clergé. Celui-ci a sur la terre une mission de paix. En faisant appel à son esprit de concorde, on le décidera peut-être à se réunir, à délibérer dans la même salle que les communes. Mirabeau propose en termes pleins de déférence de lui envoyer une députation.

Cette démarche met fin à une lutte qui durait depuis six semaines, au grand préjudice de l’autorité royale et de l’intérêt public. Le 17 juin 1789, quelques ecclésiastiques se joignent aux députés des communes pour former l’assemblée nationale, la majorité du clergé se rallie le 19 à la vérification des pouvoirs en commun et se réunit le 22 aux membres du tiers. Le titre d’assemblée nationale n’avait pas été adopté sans discussion. Mirabeau, qui en proposait un plus modeste et qui fut ce jour-là très mal accueilli par ses collègues, avait réservé en tout cas la sanction royale. Une assemblée unique et toute-puissante lui faisait peur. Il entendait que le nouveau pouvoir législatif fût limité par la prérogative du roi : « Je ne connaîtrais rien de plus terrible, disait-il avec sagesse, que l’aristocratie souveraine de six cents personnes qui demain pourraient se rendre inamovibles, après-demain héréditaires, et finiraient comme les aristocrates de tous les pays par tout envahir. » Le titre adopté malgré ses efforts lui parut toujours plein de dangers ; il attribua même à cette malencontreuse dénomination une partie des désordres qui suivirent : « C’est une motion usurpatrice, écrivait-il à Mauvillon ; je ne serais pas surpris que la guerre civile fût le fruit de leur beau décret. » A la fin de 1790, effrayé des progrès de l’anarchie, il disait encore à Dumont de Genève : « Ah ! mon ami, comme nous avions raison de les empêcher de se déclarer assemblée nationale ! »

Tout ce que nous savons des sentimens de Mirabeau à cette époque témoigne de ses dispositions conciliantes. Comme l’ordre des communes, comme la nation presque entière, il attend beaucoup du roi dont la popularité n’a encore souffert aucune atteinte. Il craint seulement que Louis XVI ne soit mal entouré et mal conseillé. Dans un intérêt personnel, à coup sûr, mais aussi dans l’intérêt public, il voudrait entrer en relations avec les ministres, se