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de la séance royale. C’est un des chapitres les plus curieux de son livre. Ni Mirabeau ni aucun des membres les plus modérés du tiers ne pouvaient approuver les paroles que des conseillers imprudens avaient mises ce jour-là dans la bouche du roi. Si Louis XVI promettait des réformes, il se prononçait formellement contre le sentiment public, contre le vœu de la nation, en refusant d’autoriser la réunion des trois ordres et la périodicité des états-généraux. Au moment où la France aspirait avec passion au régime représentatif, on lui défendait de l’organiser. Le cérémonial de la séance et le ton du discours avaient en même temps quelque chose de provocant. Comme le dit un écrivain royaliste, on avait ressuscité dans cette circonstance « l’odieux appareil des lits de justice. » L’affirmation répétée et intentionnelle de la volonté royale irritait jusqu’à la noblesse. Jamais le roi n’avait dit si souvent et avec tant de hauteur : « Je veux. »

Jusqu’à la fin du discours royal, l’histoire de la séance est bien connue. A partir du départ du roi, la légende commence. On a imprimé et mis dans la bouche de Mirabeau de véritables harangues dont il n’a pas prononcé un seul mot. On a aussi dramatisé la scène pour en augmenter l’effet. On s’est représenté Mirabeau sortant de sa place pour aller au-devant du marquis de Dreux-Brézé et signifiant à l’envoyé du roi la volonté des représentans de la nation. M. Dalou a bien fait de tirer parti de la légende pour la composition de son beau bas-relief. Mais les choses se sont passées beaucoup plus simplement. Dans la grande salle des menus, telle qu’elle avait été disposée pour la séance royale, il n’y avait pas de bureau pour le président. Bailly ne siégeait point à part ; il était assis en avant des députés du tiers, sur une banquette comme eux, et Mirabeau n’est point sorti de leurs rangs pour interpeller le marquis de Dreux-Brézé. Mirabeau lui-même, dans le petit discours arrangé après coup qu’il s’attribue en écrivant sa XIIIe lettre à ses commettans, ne dit pas qu’il ait quitté sa place.

Quelles sont maintenant les paroles qui furent réellement prononcées ? Mirabeau n’a certainement pas répondu à M. de Dreux-Brézé, comme on l’a souvent affirmé à tort : — « Allez dire à votre maître. » — C’eût été mettre en cause la personne du roi qu’il tenait par-dessus tout à laisser en dehors du conflit. Nous avons à choisir entre deux versions qui, au fond, ne diffèrent que par un mot. Suivant le fils du marquis de Dreux-Brézé, qui, dans un discours prononcé à la chambre des pairs, le 9 mai 1833, recomposa la scène entière en invoquant le témoignage de deux constituans devenus ses collègues, Montlosier et Barbé-Marbois, Mirabeau aurait simplement dit : — « Nous sommes assemblés par la volonté nationale et