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besoin d’être approuvé par le gouvernement. Il accorde tout aux uns parce qu’il se croit sûr d’eux, il refuse tout à l’autre parce qu’il s’en défie.

Voilà l’incurable infirmité du caractère de Mirabeau. Dès que son intérêt personnel est en jeu, il trouvera des argumens de circonstance contre ses opinions. Il ne renonce pas, néanmoins, à celles-ci ; il les abandonne par calcul lorsqu’elles le gênent, il y revient par raison lorsqu’il n’a plus de profit à les combattre. Personne, au fond, n’est plus convaincu que lui des dangers de la dictature populaire ; personne ne prévoit de plus loin les conséquences des journées d’émeute : « La société serait bientôt dissoute, écrit-il avec une pénétration admirable, si la multitude s’accoutumait au sang et au désordre, se mettait au-dessus des magistrats et bravait l’autorité des lois ; au lieu de courir à la liberté, le peuple se jetterait bientôt dans la servitude, car trop souvent le danger rallie à la domination absolue, et, dans le sein de l’anarchie, un despote paraît un sauveur. »

Ce sont là des paroles véritablement prophétiques. La dictature de l’empire y est annoncée comme la conséquence nécessaire des crimes de la révolution et de l’anarchie du directoire. Le même homme qui exprime des idées si justes, lorsqu’il n’a aucun intérêt à dire le contraire, n’en soutiendra pas moins que le peuple doit être le maître dans chaque commune, lorsqu’il a besoin d’être élu par le peuple. Ce n’est pas l’intelligence politique de Mirabeau qu’accusent ces contradictions, c’est, une fois de plus, sa moralité. N’oublions jamais, en parlant de lui, ce que disait son père, l’homme qui l’a le mieux connu et le mieux jugé : « Il manque par la base, par les mœurs. » — « Il n’obtiendra jamais la confiance, ajoutait le terrible marquis, voulût-il la mériter. » La justesse de cette prédiction se vérifiera jusqu’au dernier jour de sa carrière.


III

Détournons nos regards de ces défaillances pour étudier Mirabeau dans un rôle plus digne de lui. Les hommes de 1789, même au milieu des déceptions que devaient leur causer les mouvemens populaires, encore sous le coup des émeutes et des attentats commis au mois de juillet, étaient si pénétrés de la puissance des idées, que l’assemblée discutait un projet de constitution politique à l’heure, où la populace parisienne portait au bout des piques les têtes coupées du marquis de Launay, de Flesselles, de Foulon, de Berthier. Il y aurait là matière à des rapprochemens ironiques, si