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se sont succédé en France depuis 1789 les ont reconnus. La charte de 1814 ne fait d’exception que pour le principe de la souveraineté nationale.

Lorsque l’assemblée eut décidé, presque à l’unanimité, qu’une déclaration des droits serait placée en tête de la constitution, Mirabeau fut nommé membre du comité de rédaction avec quatre de ses collègues et chargé par ceux-ci des fonctions de rapporteur. Quoique bien des défiances trop justifiées subsistassent encore contre son caractère, ce choix nous apprend qu’en trois mois son influence ne s’en était pas moins accrue. Il faut dire que la tâche du rapporteur n’avait rien d’enviable. Plus de cinquante projets étaient soumis à l’assemblée. Adopterait-on un de ces projets ? en composerait-on un nouveau avec des emprunts faits à quelques-uns ? L’assemblée témoignait une grande impatience. Aux difficultés du travail s’ajoutait la nécessité de faire vite. L’énormité de la tâche n’effrayait pas Mirabeau, dont nous connaissons les habitudes laborieuses. Depuis longtemps, d’ailleurs, il avait attaché à sa personne les collaborateurs les plus instruits et les plus capables. Duroveray, Dumont, Clavière, lui préparaient des matériaux pour ses écrits et pour ses discours. Ces trois auxiliaires, tous trois d’un si rare mérite, composaient ce qu’il appelait lui-même son atelier.

Leur collaboration, si précieuse d’ordinaire, ne produisit, cette fois, que le plus médiocre des résultats. L’assemblée fit au rapport un accueil si froid et Mirabeau en reconnut si bien les imperfections qu’il sollicita un ajournement jusqu’à ce que les autres parties de la constitution fussent convenues et fixées. Les raisons politiques ne manquaient pas pour justifier ce retard. Le rapporteur invoqua une des plus décisives, en signalant le danger qu’il y aurait à entretenir les citoyens de leurs droits avant que le pouvoir exécutif, alors si affaibli, eût recouvré son ancienne force.

Très sage et très sagace, sur ce point comme sur d’autres, Mirabeau n’en céda pas moins, dans la rédaction de certains articles, à cet esprit malsain de popularité qui tient si souvent en échec sa raison naturelle. L’assemblée, qui n’avait pas fait grand accueil à son projet, s’inspira surtout, dans le texte définitif, des idées de La Fayette et de Mounier. Mirabeau prit part fréquemment à la discussion, mais sans beaucoup de succès ni beaucoup d’ardeur. Au fond, il n’avait pas de goût pour les débats de doctrine ; son génie pratique et net répugnait aux abstractions, à la métaphysique ; il préférait l’action et le maniement des hommes à toutes les formules spéculatives. Aussi se lassa-t-il assez vite du travail de philosophie politique qu’il avait accepté, plus peut-être par