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vie, mais je ne vous en ai pas donné le secret. Ce secret, le voici : c’est Jésus-Christ connu, aimé, servi dans l’Eucharistie. »


II.

Au XIIIe siècle, quand le communiant à genoux allait recevoir le sacrement, quelquefois il cessait de voir l’hostie; elle disparaissait; à la place, il apercevait un petit enfant ou le visage rayonnant du Sauveur, et, selon les docteurs, ce n’était pas là une illusion, mais une illumination[1]; le voile s’était levé; l’âme se trouvait face à face avec son objet, avec Jésus-Christ présent dans l’Eucharistie; elle avait la seconde vue, infiniment supérieure en certitude et en portée à la première, une vue directe et pleine, accordée par une grâce d’en haut, une vue surnaturelle. — Par cet exemple qui est un cas extrême, on peut comprendre en quoi consiste la foi : c’est une faculté extraordinaire, qui opère à côté et parfois à l’encontre de nos facultés naturelles; à travers et par-delà les choses telles que l’observation les présente, elle nous découvre un au-delà, un monde auguste et grandiose, seul véritablement réel et dont le nôtre n’est que le voile temporaire. Au plus profond de l’âme, bien au-dessous de la couche superficielle dont nous avons conscience[2], les impressions se sont accumulées, comme des eaux souterraines ; là, sous la poussée et la chaleur des instincts immanens, une source vive s’est formée, grossit et bouillonne obscurément; vienne une secousse, une fissure, et soudainement elle monte, elle perce, elle jaillit à la surface ; l’homme qui la contenait et en qui elle déborde est surpris de cette inondation, il ne se reconnaît plus lui-même ; tout le champ visible de sa conscience est bouleversé et renouvelé; à la place de ses anciennes pensées vacillantes et fragmentaires, il trouve une croyance irrésistible et cohérente, une conception précise, une représentation intense, une affirmation passionnée, quelquefois même des perceptions positives, d’une espèce à part,

  1. Cette question est examinée par saint Thomas dans sa Summa theologica.
  2. Depuis vingt ans, grâce aux recherches des psychologues et des physiologistes, nous commençons à connaître ces régions souterraines de l’âme et le travail latent qui s’y opère. L’emmagasinement, les résidus et la combinaison inconsciente des images, la transformation spontanée et automatique des images en sensations, la composition, les dissociations et le dédoublement durable du moi, la coexistence alternante ou simultanée de deux ou plus de deux personnes distinctes dans le même individu, les suggestions à échéance distante et datée, le choc en retour, de dedans en dehors, et l’effet physique des sensations mentales sur les extrémités nerveuses, toutes ces découvertes récentes aboutissent à une conception neuve de l’esprit, et la psychologie, ainsi renouvelée, fournit de vives lumières à l’histoire.