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que ce spectacle, dont quelques-uns jouissent, ne reste pas le privilège de quelques-uns. Néanmoins, si confuses et tronquées que soient leurs impressions, si faux et si mal fondés que soient leurs jugemens, ils ont appris quelque chose d’important, et, de leur visite, il leur reste une idée vraie : c’est que, parmi les divers tableaux du monde, il en est un qui n’est pas peint d’imagination, mais d’après nature.

Or, entre ce tableau et celui que leur présente l’Église catholique, le désaccord est énorme ; même dans les intelligences rudimentaires ou occupées ailleurs, si la dissemblance n’est pas nettement perçue, elle est vaguement sentie ; à défaut de notions scientifiques, les simples ouï-dire épars, entendus à la volée, et qui semblent avoir glissé sur l’esprit comme une ondée sur une roche dure, y subsistent à l’état latent, se rejoignent, s’agglutinent en un bloc et font, à la longue, un sentiment massif, réfractaire, qui s’oppose à la foi. — Chez le protestant, l’opposition n’est ni extrême ni définitive. Sa foi, qui lui donne l’Écriture pour guide, l’invite à lire l’Écriture dans le texte original, par suite, à s’entourer, pour la bien lire, de tous les secours dont on s’aide pour vérifier et entendre un texte ancien, linguistique, philologie, critique, psychologie, histoire générale et particulière ; ainsi la loi prend la science pour auxiliaire. Selon les diverses âmes, le rôle de l’auxiliaire est plus ou moins ample ; il peut donc se proportionner aux facultés et aux besoins de chaque âme, par suite, s’étendre indéfiniment, et l’on entrevoit dans le lointain un moment où les deux collaboratrices, la foi éclairée et la science respectueuse, peindront ensemble le même tableau, ou séparément deux fois le même tableau dans deux cadres différens. — Chez les Slaves et les Grecs, la foi, comme l’Église et le rite, est une chose nationale ; le dogme fait corps avec la patrie, on est moins enclin à le contester ; d’ailleurs, il est peu gênant : ce n’est qu’une relique héréditaire, un mémorial domestique, une icône de famille, œuvre sommaire d’un art épuisé, qu’on ne comprend plus très bien et qui a cessé de produire. Elle est plutôt ébauchée qu’achevée, on n’y a pas ajouté un seul trait depuis le Xe siècle ; voilà huit cents ans que ce tableau repose dans une arrière-chambre de la mémoire, sous des toiles d’araignée aussi vieilles que lui, mal éclairé, rarement visité ; on sait bien qu’il est là, on en parle avec vénération, on ne voudra jamais s’en défaire, mais on ne l’a pas chaque jour sous les yeux, pour le comparer avec le tableau scientifique. — Tout au rebours pour le tableau catholique : depuis huit cents ans, chaque siècle y a donné des coups de pinceau ; encore aujourd’hui, nous le voyons se faire sous nos yeux, acquérir un relief plus fort, un coloris plus intense, une harmonie plus rigoureuse, une expression plus saisissante et