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Blanc, étincelant, le club tranche sur cette muraille verte de tiges obliques et de colonnettes empanachées, quand, tout à coup, la muraille s’entr’ouvre, laisse apercevoir en perspective une rue de constructions blanches aussi, puis se referme… Dans l’échappée est apparu le village de Pabean, port de Boeleleng.

Point de rade, pas le moindre brise-lames. Sur la plage, une plage de sable blond, la mer repose ce matin, muette, assoupie, mais l’on devine quels assauts retentissans elle doit y livrer, car il est connu que dans ces parages les embarquemens et débarquemens sont d’ordinaire difficiles, souvent périlleux. Tantôt y est déchaînée la mousson du nord-est, tantôt y soufflent, et toujours avec violence, des vents du nord-ouest. Il arrive que le gros temps force les navires de brûler l’escale.

En quelques minutes, une prahoe ou canot indigène nous transporte sur la plage blonde où nous sommes attendus. Il y a là des gens de races diverses : deux fonctionnaires hollandais, en casquette à galons d’argent ; des Arabes en fez ; des Chinois nu-tête ; deux Javanais et des Balinais qui sont tous coiffés d’une sorte de turban noir. Un uniforme bleu foncé, à basques courtes et à bande jaune clair sur la couture du pantalon, uniforme auquel nos yeux se sont accoutumés à Java, révèle tout de suite les fonctions que remplissent les deux Javanais. Ce sont des opas ou garçons de la résidence, qui tiennent en même temps le rôle d’agens de police. Les Balinais ont le torse nu ; ils portent un sarrong de couleur sombre, noué à la hauteur des hanches. À considérer ces premiers natifs de l’île, nous remarquons chez eux les particularités d’un peuple nouveau. Ils sont grands et d’apparence vigoureuse. Leur teint est foncé. Leur visage exprime à la fois de l’énergie et de la douceur. Leurs regards soutiennent les nôtres ; ils nous observent comme nous les observons ; mais un sourire bienveillant entr’ouvre gracieusement leur bouche, et nous devinons plus de naïveté que de malice aux réflexions qu’ils échangent en nous voyant. Tout différens nous étaient apparus les Javanais : de taille moins élevée, de constitution moins solide, et timides, renfermés, inquiets comme s’ils souffraient du joug qui pèse sur eux. Cependant, il y a dans les traits des uns et des autres une finesse qui trahit leur parenté de race. Au contraire, par des traits grossiers qui donnent une expression dure, presque farouche, à leurs figures, les Malais de Sumatra attestent qu’ils sont d’une tout autre famille.

Le résident a envoyé sa voiture à notre rencontre, sur la plage. Un fonctionnaire y prend place avec nous. Dès lors, au trot rapide de deux petits chevaux fougueux, à crinière épaisse et ondoyante, le spectacle change à tout instant. Voici la rue de constructions blanches que nous avons entrevue du navire. De chaque côté, des