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14 avril.

Avec le peuple qui nous entoure, il ferait bon causer; or, nous ne savons qu’un peu de malais, et ce peuple, à l’exception de ses prêtres et de ses chefs qui ont aussi quelque connaissance du malais, n’entend et ne parle que le balinais, une langue très compliquée. De cette dernière nous savourons au moins la sonorité, qui, très mélodieuse, nous rappelle celle du javanais. Il n’y a, du reste, pas seulement cette analogie musicale entre les deux langues; elles sont proches parentes[1]. Le javanais est une langue mère qui a donné naissance à trois dialectes principaux : le soundanais, le madourais... et le balinais. Les deux premiers, qui sont parlés à Java, subirent, avec le javanais, l’influence du sanscrit au moment où l’île fut convertie à l’hindouisme et reçut de l’Inde sa civilisation et les élémens de sa littérature, puis l’influence de l’arabe, au fur et à mesure de la propagande musulmane. Quant au balinais, s’il a été aussi influencé par le sanscrit, il l’a été à peine par l’arabe, comme Bali repoussa toujours le mahométisme; aussi se distingue-t-il par un vocabulaire hindou très riche. — Le javanais et chacun de ses dialectes comprennent une forme cérémonielle : krama (bienséance) et une forme populaire : n’gaka (tutoyer). Le peuple est tenu, quand il s’adresse à ses supérieurs, d’employer la forme krama, tandis que ceux-ci, en lui parlant, se servent de la forme n’gaka. A Bali, ces deux formes sont désignées aussi par : haut-balinais et bas-balinais. L’écriture javanaise est commune au javanais et aux trois dialectes. Le malais, lui, est la langue diplomatique de tout l’archipel. Très riche en mots arabes, il en a passé quelques-uns au balinais et un très grand nombre au javanais duquel il a reçu, à son tour, des termes sanscrits. Le sanscrit lui-même n’est pas arrivé directement au javanais, mais par l’intermédiaire du kawi, qui est au javanais et à ses dialectes ce que le latin est à nos langues de l’Europe méridionale et le pâli au birman, au siamois, etc. Le kawi n’est, en réalité, que du sanscrit tombé à l’état de langue agglutinante. Il a dû prendre naissance peu de temps après l’arrivée des premiers Hindous à Java ; mêlé de javanais, soumis aux règles de la grammaire javanaise, il constituait,

  1. Les langues de Java, de Dali, de l’Archipel indien, en un mot, toutes les langues parlées de Madagascar à la Nouvelle-Guinée, rentrent dans la famille des langues agglutinantes. On a eu des raisons de croire qu’elles pouvaient toutes être ramenées à une souche commune. Le philologue Marssen détermina le premier cette famille et la dénomma : grand langage polynésien. Le philologue Crawford pensa que Java avait dû être le foyer d’où ce langage se répandit dans l’Archipel et au-delà.