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Les indigènes que nous venons de voir, — la famille du prêtre groupée devant la porte, — n’étaient pas vêtus autrement que les indigènes que nous avions jusqu’alors rencontrés sur les routes, entrevus de la résidence, aperçus dans les spectacles. Seul, le brahmane se distinguait par sa coiffure en chignon qui sert aussi de signe d’élection aux chefs d’ordre laïque, et par sa longue chemise à laquelle ces chefs substituent un veston collant.

Les prêtres et les chefs touchent de beaux traitemens. Le peuple gagne ou possède beaucoup plus qu’il ne lui faut pour vivre. Entre autres menus ouvrages, les artisans font de la sculpture sur bois, et de leurs mains sortent de jolies statuettes peintes et artistement travaillées qui représentent des personnages de poème et des prêtres. Presque tous les habitans ont des maisons. La plupart possèdent en outre de petits temples domestiques, des porcs noirs, des coqs, des poules, des buffles, des terres sur lesquelles croît en abondance le riz: la principale nourriture du pays, avec des poissons salés. Beaucoup d’indigènes cultivent aussi le café dans la montagne et en vendent la récolte, à bon compte, il est vrai, aux Arabes, aux Chinois et aux Arméniens établis à Pabean.

Pabean, port de Boeleleng, tel est le centre des affaires dans la contrée. Là, à côté des nombreux étalages de marchandises importées se tient en permanence un grand passar (marché indigène) où, de tous les points de la côte, les Balinais affluent pour écouler des produits de leurs terres et des articles de leur fabrication. On compte dans la résidence de Boeleleng, Djembrana y compris, 165 Arabes, 638 Chinois, 38 Arméniens dont le plus grand nombre demeurent à Pabean et y font du commerce d’importation et d’exportation. Les Arabes achètent à peu près toute la récolte du café; il y a quelques dizaines d’années, ayant reconnu que le sol des montagnes et le climat de Bali étaient particulièrement propices à la culture du caféier, ils semèrent dans l’île une quantité considérable de graines de moka ; cette tentative eut un résultat qui les encouragea, et aujourd’hui, la presque totalité du moka qui se consomme dans le monde entier vient de Bali. — Outre qu’ils importent et exportent comme les autres étrangers, les Chinois, établis dans l’île, s’appliquent à passer en contrebande l’opium sur la côte orientale de Java. Plusieurs d’entre eux ont gagné, à faire ce commerce de fraude, des fortunes immenses, — ce qui est aisé à comprendre, — une balle d’opium se payant 45 florins à Pabean qui est port franc, et plus de 300 florins à Java, à cause du monopole[1]. Les Hollandais exercent sur la côte javanaise une surveillance

  1. Le gouvernement de Batavia s’est réservé le monopole de l’opium. Il fait venir l’opium par cargaisons de l’Inde anglaise et de Turquie; puis il vend ces cargaisons à des fermiers chinois, en fixant lui-même le prix auquel cet article doit être vendu au détail.