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qu’à force d’expériences et par une longue pratique. Dès aujourd’hui M. Rochegrosse compte dans l’École française, où il relève vaillamment le drapeau d’un art plus hardi et plus élevé, d’un art plus digne d’une nation noble et de vieille culture en face du réalisme terre à terre ou prétentieux qui nous rapetisse et nous abaisse !

La Mort de Sardanapale, de M. Chalon, offre plus d’un point de ressemblance avec la Mort de Babylone, de M. Rochegrosse. La toile est moins grande, le sujet plus ramassé, éclairé de hasard et groupé à la diable par une main bien moins habile. Le drame n’y prend pas non plus d’effrayantes allures, et ce sont des flammes pour rire qui s’apprêtent à lécher le bûcher à sept étages, au sommet duquel se tient, toujours à l’écart, assis sur son trône d’or, l’impassible désespéré, tandis que, sur les gradins inférieurs, se tordent en des poses voluptueuses plutôt qu’épouvantées, les femmes de toutes couleurs qu’il entraîne, bon gré mal gré, dans l’éternité. C’est donc toujours la conception décorative et plastique d’Eugène Delacroix, reprise avec plus de prétentions archéologiques et moins de passion pittoresque. M. Chalon professe les mêmes goûts que M. Rochegrosse pour les ajustemens bizarres, pour les bibelots somptueux, pour les nudités impudentes ; comme lui, aussi, il a regardé la nature avec un peu plus de scrupule que d’habitude. Sur les premiers plans, quelques morceaux exacts, d’une facture froide, mais soignée, attestent aussi que ce retour à l’observation ne lui a pas été inutile.

La Fin de l’épopée, par M. Rouffet, nous transporte brusquement de l’Assyrie antique dans l’Europe moderne, de Sardanapale à Napoléon, de Ninive à Waterloo. On ne saurait voir, dans cette toile immense, une peinture de bataille ordinaire, une représentation historique visant à l’exactitude; il faut la regarder, ainsi que le veut son titre, comme une tentative de poésie héroïque. Les lignes de Victor Hugo qui l’ont inspirée donnent déjà le sentiment d’une hallucination grandiose dans laquelle s’exagèrent les dimensions et les expressions de toutes choses M. Rouffet s’est efforcé de les traduire avec une vigueur de conception assez remarquable : « Ils étaient 3,500... C’étaient des hommes géans sur des chevaux colosses... L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, béant, à pic sous les pieds des chevaux ; le second rang y poussa le premier et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers... Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme. » M. Rouffet a déployé, dans la mise en scène de cette formidable culbute, un entrain et un savoir qui sont déjà ceux d’un artiste fort