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françaises, à cheval, vus de face, le sabre au poing, se tiennent devant la foule dans une immobilité rigide qui contribue à donner à la scène un caractère de gravité silencieuse. Rien n’était plus difficile, à coup sûr, que d’exprimer, au gré de notre imagination, tout le monde de pensées qui dut alors s’agiter sous les fronts du monarque humilié et du maire triomphant, et l’on peut trouver que, dans la tête un peu effacée de Louis XVI, si ce n’est dans celle de Bailly, M. Laurens n’y est pas complètement parvenu. L’artiste a retrouvé sa force habituelle d’évocation historique lorsqu’il s’est agi d’exprimer les sentimens qui animent tous ces visages décidés de bourgeois enorgueillis par le premier souffle de la liberté. Leurs physionomies, franches ou rusées, toutes graves, sont peintes avec fermeté, et c’est là que se porte forcément l’intérêt principal. Le long de cette rampe de bois, sur ces marches de pierre, c’est, en effet, le tiers-état qui s’échelonne et plus d’un, parmi ces magistrats solennellement vêtus de noir, se reportant à ses souvenirs classiques, en tenant sa mince épée suspendue sur le front du roi, se souvint sans doute des Samnites faisant passer les Romains sous les Fourches Caudines.

Voilà un sujet intéressant et bien digne d’être raconté sous les voûtes d’un hôtel de ville. Il est fâcheux que, dans la décoration des diverses mairies de Paris, on ne se soit pas inspiré d’idées aussi convenables pour la dignité des édifices publics. Chaque arrondissement pouvait facilement retrouver dans ses annales quelque épisode glorieux qu’il eût été utile de rappeler aux générations futures. Par malheur, presque partout, l’ignorance historique des uns favorisant la paresse imaginative des autres, on s’y est contenté, sous prétexte de démocratie et de vérité, de représenter les événemens quotidiens de la vie sociale, sous leur apparence la plus vulgaire et la moins propre à élever la pensée du peuple, même lorsqu’il s’agit de ses intérêts les plus directs. Nous avons un exemple de cette pauvre façon de comprendre la décoration des édifices publics dans la grande toile destinée à la salle du conseil de la mairie des Lilas, le Suffrage universel. Pour donner aux électeurs une idée noble de la mission qu’ils ont à remplir, il semblerait qu’on eût pu découvrir, soit dans l’histoire courte encore, mais déjà riche du suffrage universel quelque épisode fameux d’élection démontrant sa puissance pacifique, soit, dans les différentes phases de son exercice, quelque spectacle imposant comme celui, tout au moins, d’un dépouillement ou d’une proclamation de scrutin. Point du tout : ce qu’on offre, pour les édifier, aux électeurs futurs, c’est l’intérieur d’un bureau d’élection dans le moment le moins solennel, à l’heure où les électeurs défilant un à un, devant l’urne, s’y montrent sous