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avec un visage blême de figure voilée sortant des ombres, n’est qu’une variation savante d’un thème déjà traité, sa Pleureuse, étendue sur le gazon, la tête dans ses mains, le corps à demi enveloppé d’une étoffe jaunâtre, lui a fourni prétexte à des modulations lumineuses d’une délicatesse particulièrement exquise. Ce sont là de ces qualités rares qui échappent, sans doute, aux yeux de la foule, comme les finesses de certaines harmonies musicales lui peuvent rester inaccessibles ; et ce sont, pourtant, celles qui constituent la peinture excellente.

Tout cela prouve, en définitive, qu’on ne supprime pas l’idéal et que, la sensibilité de chaque artiste étant différente et très différemment ébranlée devant le même objet, il exagère forcément, lorsqu’il le traduit, les qualités qu’il y cherche et qui lui conviennent. Dans le même modèle, où M. Bonnat sentira d’abord la saillie musculaire et l’attitude décidée, où M. Henner suivra avant tout les caresses tendres d’une lumière mystérieuse, M. Jules Lefebvre étudiera donc le fin profil et le modelé délicat, M. Bouguereau surprendra la grâce du mouvement aimable et brillant des carnations nacrées. La Nymphe chasseresse de M. Jules Lelebvre est une des figures les plus nerveuses, dans sa svelte élégance, que ce maître scrupuleux ait jamais dessinées. Toute la partie supérieure, notamment, est excellente. Le groupe gracieux que M. Bouguereau appelle Premiers bijoux (c’est un jeune pasteur grec suspendant aux oreilles de sa compagne des cerises en guise de boucles) obtient auprès du public féminin le même succès que les compositions du même genre dues précédemment au même artiste. Nous lui préférons, quant à nous, l’Amour mouillé, étude sérieuse et délicate d’un bel adolescent dans une attitude bien rythmée.

La plupart des autres peintures où se montrent des figures nues sont moins des tableaux que des études. On distinguera, parmi ces études, l’Eté, de M. Axilette, où, comme dans l’Eté de M. Raphaël CoHin, des femmes nues folâtrent dans l’herbe; l’imagination n’y entre pour rien, l’accord même n’est pas trouvé entre les verdures et les figures, quoique le tout soit d’un ton bien triste et peu estival ; mais ces trois figures, celle qui est couchée surtout, sont étudiées avec une conscience, une exactitude et un talent qui, en somme, font grand honneur au jeune artiste. La Rêverie de M. Foubert, les Rêveries de M. Popelin, sous une clarté plus vive, nous montrent encore des créatures très palpables et très vivantes dont la beauté est analysée avec goût et non sans éclat. MM. Ronot, Boyé, Hippolyte Fournier, sont moins précis dans leurs définitions des formes féminines, mais c’est avec un sentiment plus poétique qu’ils les enveloppent en de douces clartés, soit lumière de l’aube pour les Baigneuses du premier, soit pénombre lunaire, pour la