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Lorsque la France, accablée par la mauvaise fortune, a pu porter sans fléchir le poids de ses colossales rançons, ce n’était point apparemment le signe d’une ruine prochaine. Lorsque l’Exposition universelle de 1889 s’est ouverte, la France, que nous sachions, n’a pas été éclipsée par les autres nations: elle est restée au premier rang par l’éclat et la puissance de son génie! s’il y a encore des malaises dans ses industries et dans son commerce, on n’y remédiera sûrement pas en le hérissant de tarifs, en poussant à bout une révolution économique faite pour peser sur la consommation intérieure aussi bien que pour compromettre les relations extérieures de la France. Et quel moment choisit-on pour lever le drapeau d’un protectionnisme exclusif, pour se dégager de tout ce qui peut mettre quelque fixité dans les relations de notre pays? On choisit tout juste le moment où une réaction se manifeste en Europe et au-delà des mers en faveur des traités de commerce. Les États-Unis signent de toutes parts des traités de commerce. En Europe, l’Allemagne et l’Autriche ont leur traité de commerce et en sont à négocier avec la Belgique, avec la Suisse, avec l’Italie. Avant peu, la France est exposée à rester seule, cernée par des puissances liées entre elles. Le monde va en avant vers une certaine liberté commerciale réglée par les traités; notre commission des douanes va en arrière : elle revient vers le protectionnisme outré, et pour mieux assurer son œuvre, pour exclure d’avance jusqu’à la possibilité de nouveaux traités, elle a son tarif minimum au-dessous duquel il ne serait plus même permis de négocier.

Soit, on s’enfermera dans la citadelle protectionniste! Mais la commission des douanes n’a pas vu qu’avec son tarif minimum invariable, elle faisait bon marché, non-seulement de la liberté commerciale, mais encore de la constitution elle-même. La constitution, en effet, donne au pouvoir exécutif le droit de négocier et de signer les traités. Si le gouvernement est lié par le tarif minimum, il n’a plus qu’un droit illusoire et ne peut pas même ouvrir une négociation, qui ne serait plus sérieuse avec des conditions connues et fixées d’avance; s’il reste libre de négocier, le jour où il verrait un intérêt national engagé, sans tenir compte du tarif minimum, ce tarif n’est plus qu’une simple indication arbitraire et inutile. Comment sortir de là? On n’en est pas sorti du tout, et le débat qui s’est ouvert ces jours derniers pour tâcher de concilier l’invariabilité du tarif minimum et le droit constitutionnel du gouvernement n’a été qu’une confusion de plus. C’est une preuve nouvelle de l’incohérence des projets de la commission des douanes, et ce qui, en fin de compte, se dégage le plus clairement de cette longue discussion, c’est que tout serait encore à revoir dans cette œuvre, qui compromet à la fois la constitution, le travail intérieur, les relations et l’autorité de la France dans le monde.