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ecclésiastiques, biens spirituels, couronnes temporelles, le sacré et le profane, la terre et le ciel, sans s’inquiéter de ce qu’était l’acheteur, pourvu qu’il eût bon crédit. L’inévitable arriva. Les seigneurs achetèrent des évêchés pour leurs bâtards, et ceux-ci dotèrent leurs filles avec des abbayes. Les familles nobles se concertèrent pour s’assurer la poule aux œufs d’or en mettant un des leurs sur le trône pontifical. On vit alors l’épiscopat encombré de ces malandrins qui provoquaient les invectives d’un Pierre Damien ou de tel mystique en guenilles dont le nom est resté ignoré dans l’histoire. « Il aurait mieux valu pour lui être porcher ou avoir la lèpre que de faire l’évêque, » écrivait fra Salimbene de l’un d’entre eux.

Le pis est que ces prélats indignes prêchaient une religion à leur image et selon leur intérêt, une religion de terreur où l’enfer engloutissait quiconque ne payait pas régulièrement la dîme. Par un blasphème effronté, Jésus, devenu dur, maudissait au lieu de consoler. Sa sécheresse avait gagné les cœurs des hommes, et l’on peut dire qu’il y a rarement eu aussi peu de bonté sur la terre que dans les siècles qui ont précédé la naissance de saint François d’Assise.. Les faibles n’avaient pas de pitié à attendre, les humbles pas de sympathie. Dans l’excès de leur souffrance, ils en appelèrent de l’Eglise à Dieu, et ce fut l’origine de la puissante vague d’hérésie qui partit au XIe siècle des pays slaves et submergea une grande partie de l’occident. Les sectes se multiplièrent, unies au fond dans une idée commune. Cathares ou palarius, poblicans ou albigeois, amis de Dieu ou bonshommes pauvres ou humiliés, de quelque nom enfin qu’on les nomme et de quelques dogmes ou rites qu’ils s’avisassent, tous ces révoltés, sans exception aucune, étaient pénétrés d’un âpre désir de revenir à l’idéal de l’Évangile et convaincus qu’on n’y parviendrait qu’en abattant l’Église féodale et mondaine et en rebâtissant sur ses ruines. Il leur paraissait impossible que le clergé romain s’amendât, au degré de pourriture où il en était; qu’il consentît à redevenir pauvre, à prêcher le pardon des offenses et l’amour des humbles, à se faire le, défenseur des aspirations politiques et sociales qui agitaient les classes inférieures, impatientes de compter dans la balance et de pouvoir s’estimer elles-mêmes.

L’originalité de saint François fut de croire le contraire. Il fut frappé, autant et plus que n’importe quel hérétique, de l’acuité du mal et de l’urgence d’y apporter remède : il ne lui vint même pas à l’esprit de tenter une réforme en dehors de l’Église, à plus forte raison contre elle. Il ne douta pas d’elle un seul instant, en quoi il montra une grande intelligence de cette merveilleuse organisation qui s’adapte infatigablement, depuis tantôt dix-neuf siècles,