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le battit, l’injuria, et n’en put tirer que l’assurance réitérée que Dieu serait obéi. Sa femme prit sur elle de délivrer le prisonnier et de le laisser aller. Pierre Bernadone la malmena rudement, courut après son fils à Saint-Damien et vit que tout était inutile. Il n’avait pas affaire à un fou, mais à un glorieux entêté. Exaspéré, il porta plainte contre François, qu’il accusait de lui avoir volé l’argent des marchandises vendues à Foligno. Ils comparurent ensemble devant l’évêque d’Assise.

La scène a été maintes fois reproduite par la peinture. L’évêque d’Assise engagea paternellement le jeune Bernadone à rendre à son père ce qui lui appartenait. La réponse ne se fit pas attendre. En un clin d’œil, François fut tout nu, ses habits en tas devant l’évêque, et l’argent dessus : — « Écoutez tous et comprenez. Jusqu’ici, j’ai appelé Pierre Bernadone mon père. Je lui rends son argent et tous les vêtemens que je tiens de lui, et je dirai désormais : Notre Père qui êtes aux cieux. » — La soudaineté de cette action, son étrangeté remuèrent profondément l’assistance. Des hommes pleuraient. L’évêque embrassait le jeune enthousiaste et le couvrait de son manteau. Le vieux Bernadone comprenait qu’il perdait son fils et restait partagé entre le chagrin et la colère. Il mit fin à la scène en ramassant la bourse et les habits et en se retirant. La foule s’indigna contre le père en voyant qu’il emportait tout et l’accompagna de ses murmures.

Quelques heures plus tard, des voleurs en embuscade dans une forêt, aux environs d’Assise, entendirent une voix jeune et chaude chanter à pleine gorge dans une langue étrangère. Ils s’approchèrent et virent un homme demi-nu qui répondit à leurs questions : — « Je suis le héraut du grand roi. » — Les voleurs jetèrent l’insensé dans une gorge remplie de neige et s’éloignèrent. A peine sorti de son trou, l’homme entonna de plus belle son chant d’allégresse. Cet heureux déguenillé était le fils du riche Bernadone. Vêtu d’une loque donnée par l’évêque, il célébrait en provençal son entrée au service de Dieu et sa délivrance des servitudes du monde. La montagne retentissait au loin de ses triomphantes actions de grâces. François Bernadone avait vécu, saint François était né. On était au printemps de 1207, et des fleurs paraissaient au rebord des fossés.


III.

Assise crut d’abord n’avoir qu’un vagabond de plus. Son enfant de prédilection lui était revenu bizarrement accoutré en ermite, après avoir été marmiton dans un monastère et infirmier chez des lépreux. Maintenant, il mendiait de porte en porte du pain et des restes, maudit par son père quand il le rencontrait, moqué de son