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versât sur la terre une lumière nouvelle... Il rayonnait comme l’étoile brille dans l’obscurité de la nuit, et comme le matin se déploie au-dessus des ténèbres. »

Il était, en effet, « un homme d’un autre siècle. » Nous ne possédons pas de sermon de saint François, mais nous connaissons les idées qui faisaient le fond de sa prédication, et il est certain que les chrétiens n’avaient rien entendu de pareil depuis l’âge apostolique. Traduit en langage moderne, son enseignement signifiait à peu près ceci.

La tristesse qui pesait sur le monde chrétien provenait de deux graves malentendus, l’un avec la vie, l’autre avec le ciel. Le malentendu avec la vie consistait à s’être rendu esclave de ses faux biens : richesses, honneurs, vanités et superfluités de toute sorte, au lieu de se jeter sur le trésor sans prix qu’elle offre à tout venant : la liberté. Il dépendait des auditeurs de saint François de secouer à l’instant même, et à jamais, les soucis qui leur rendaient l’existence semblable à une chaîne, et d’être aussi libres, aussi joyeux que l’oiseau sur la branche. Le remède était à leur portée ; ils n’avaient qu’à étendre la main, qu’à vouloir : ils n’avaient qu’à épouser la Pauvreté. Aussitôt, quel changement! Quelle guérison délicieuse des rongemens d’esprit de ceux qui possèdent et qui craignent de perdre ou de ne pas acquérir davantage! L’homme qui ne possède rien et qui a la volonté de se passer de tout, jouit en paix de ce que personne ne peut ôter à personne : la sainte joie de vivre, la fraîcheur des champs et le parfum des fleurs, l’attente du royaume de Dieu. Loin d’avoir fait un sacrifice, son gain est inestimable. L’amour de la pauvreté est la grande leçon de l’Évangile ; mais les hommes ont cru savoir mieux que Jésus ce qui leur convenait, et de là est né le second malentendu, avec le ciel.

C’est ici que saint François se séparait des patarins et autres hérétiques, qui rejetaient toute la faute sur l’Église et lui reprochaient d’avoir substitué un Dieu à son image, impérieux et menaçant, au Dieu d’amour et de miséricorde de l’Évangile. Il n’a jamais eu une parole de blâme pour l’Église ni pour ses représentans, quels qu’ils fussent. Il a toujours enseigné que le mal venait de ce que la foule des chrétiens avait brisé le pacte évangélique pour le remplacer par une religion plus respectueuse des règles de la prudence humaine, ce qui était une bien grande erreur. « Toute la sagesse du monde n’est que folie, » disait-il, et on l’avait bien vu. Tandis que le Dieu des pauvres, celui qui s’est ému d’une divine pitié pour les souffrances de l’humanité, tombait dans l’oubli et s’endormait d’un sommeil qui devait durer onze siècles, la pitié et la tendresse remontaient au ciel avec lui et s’endormaient à ses pieds. C’est à les réveiller tous trois que s’attachait désespérément