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ou s’il venoient en message. Ils respondirent que Sarrazins ne seroient-ils ja, ains estoient venu en message de par Dieu... Li Soudan dist qu’il avoit arcevesque et evesque de sa loi, mult bons clers, ne sans eus porroit-il oir ce qu’il diroient. » — Alors le Soudan « manda querre » ses docteurs musulmans, qui lui dirent pour entrer en matière : — « Nous te commandons de par Mahomet que tu lor face lor teste couper[1]. »

Au lieu de faire couper la tête à saint François, le Soudan causait avec lui et y prenait tant de plaisir, qu’il lui offrit « des possessions » à condition de rester à sa cour. L’apôtre ingénu, absorbé dans son idée, lui dit enfin : — « Faites allumer un grand feu. J’entrerai dedans avec vos prêtres et vous connaîtrez quelle est la vraie religion. » — À cette proposition, l’un des docteurs musulmans se hâta de disparaître. Le Soudan, qui l’avait vu, répondit avec bonhomie à saint François : — « Je ne crois pas qu’aucun de mes prêtres ait envie d’entrer dans le feu pour sa religion[2]. » — Les deux moines perdaient décidément leur temps. Ils retournèrent au camp chrétien et de là en Italie. Le Soudan voulait leur faire emporter des présens magnifiques; ce fut leur seule persécution chez les infidèles.

De même que sa vaillance, saint François avait conservé sa simplicité, et c’est à quoi il eut le plus de mérite. Ses disciples, Assise, l’Italie entière, conspiraient à lui donner de l’orgueil, s’il avait pu en avoir. Des gerbes de légendes surnaturelles s’épanouissaient sous ses pas. Les yeux de la foi, ces beaux yeux consolateurs, voyaient les paralytiques marcher, les lépreux être nettoyés, l’eau et le feu obéir à un signe, la mort reculer, et, avec elle, l’affreuse notion de l’irréparable, et la foule reconnaissante rendait à l’auteur de cette moisson de miracles des hommages qui ressemblaient à un culte. Il s’y dérobait de son mieux, aussi modeste qu’au temps où les gamins lui jetaient des pierres, infiniment plus préoccupé d’épargner de la souffrance à ses humbles amis les animaux que de briller parmi les hommes. Tandis que les peuples l’attendaient à genoux, sa tendresse s’épanchait en flots purs sur la nature innocente, la nourrice et l’amie. Il s’arrêtait pour porter hors du chemin un ver en danger d’être écrasé. Il donnait son manteau pour sauver un agneau de la boucherie et mendiait du miel pour les abeilles dépourvues. Il croyait avoir bien employé sa journée quand il avait rassuré quelque pauvre bête poursuivie et qu’il la relâchait rendue à son heureuse imprévoyance. Ses nombreuses amitiés dans le monde animal lui en avaient donné l’intelligence. Il entrait dans

  1. Continuateur de Guillaume de Tyr.
  2. Vita, etc., de saint Bonaventure.