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les petites idées des bêtes ; celles-ci le payaient en confiance, et il en avait toujours dans les bras ou sur les talons. Il arriva un jour chez l’évêque d’Osimo suivi d’une petite brebis qu’il avait rachetée avec l’argent d’un passant. L’évêque fut étonné de voir un mouton dans son palais ; cependant il n’osait rien dire à un saint aussi célèbre. Saint François devina ses pensées. Avec sa déférence accoutumée, il emmena sa brebis chez des religieuses qui la rendirent la plus heureuse du monde; mais ce fut pure déférence.

L’imagination populaire a brodé cent légendes sur les relations de saint François avec les bêtes. On raconte encore à Gubbio l’histoire d’un loup monstrueux qui ravageait le pays et mangeait les hommes aussi bien que les moutons ; saint François alla trouver le loup et lui proposa un marché : — « Je te promets que je te ferai défrayer de tout. Ainsi tu ne pâtiras plus de la faim, car je sais bien que la faim t’a fait faire tout ce mal. Mais puisque je t’obtiens cette grâce, je veux, loup, que tu me promettes de n’attaquer jamais aucune personne humaine, ni aucun animal. Me promets-tu ceci? » Le loup leva sa patte droite et la mit dans la main de saint François, qui revint avec lui à Gubbio. Le peuple, « tout d’une voix, promit de le nourrir jusqu’à la fin de ses jours, » et ainsi fut fait. Le loup vécut en liberté dans la ville. Il y est mort de vieillesse, regretté des habitans, auxquels il rappelait l’homme de Dieu[1].

Je doute qu’il y ait eu un autre saint ayant autant joui de la création que saint François. Il se hâtait d’échapper aux affaires pour aller rêver dans la campagne en écoutant vivre la prairie et la forêt : — « Ils ont le même principe que nous, » disait-il de tout ce qui naît et meurt, bête ou plante, herbe ou insecte. La contemplation de la nature lui versait l’apaisement. Son cœur se fondait de reconnaissance devant un beau paysage. Après la Portioncule, il aima entre tous les couvens celui de l’Alverne, à cause de sa situation incomparable au sommet d’un mont escarpé. La cellule du saint y existe encore dans une fente du rocher à pic qui forme au monastère un piédestal gigantesque. Cette cellule est une caverne naturelle où l’on accède à travers un chaos grandiose de blocs de grès. Il semble que la cime de la montagne ait éclaté sous l’effort d’un cataclysme qui l’a laissée dans un désordre sauvage. C’est tantôt une déchirure profonde, remplie d’une végétation luxuriante; tantôt un entassement de rocs gris, sans un brin d’herbe. Plus loin, des masses pendantes et moussues laissent entre elles un étroit couloir qui sent l’humidité. On touche à chaque pas le bord de l’abîme extérieur, et c’est alors un éblouissement. Le regard domine un horizon de crêtes bleues, qui se pressent les unes derrière les autres aussi loin

  1. Fioretti, traduction d’Ozanam.