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pouvoir. Lui seul est de force à entreprendre, à accomplir cette tâche redoutable.

Si le roi ne veut pas se laisser convaincre, pourquoi l’assemblée n’imposerait-elle pas moralement à Louis XVI le choix de ses ministres, ne lui désignerait-elle pas elle-même comme les conseillers naturels de la royauté ceux qu’elle honore de sa confiance? Une fois sur cette piste, on suit facilement le travail qui se fait dans l’esprit de Mirabeau. Il a commencé, en haine de Necker, par protester contre toute intervention des ministres dans les débats de l’assemblée. Il finit par souhaiter, au contraire, la constitution d’un ministère qui serait pris dans le parlement, où il aurait lui-même sa place et dont il inspirerait bientôt les résolutions. Comme dans presque tous les projets politiques de Mirabeau, il y a là un point de vue personnel, mais il y a aussi une conception d’homme d’État. Il comprenait à coup sûr, mieux qu’aucun de ses contemporains, les conditions du régime parlementaire lorsque, se rappelant l’exemple et les traditions de la Grande-Bretagne, il demandait que les ministres, au lieu d’être de simples commis alternativement mandés ou écartés par l’assemblée et par ses comités, fussent les représentans naturels de la majorité, accrédités par elle auprès du roi.

Ce mécanisme, qui nous est aujourd’hui connu, qui fonctionne sans trop de difficulté dans tous les pays constitutionnels, étonnait alors beaucoup d’esprits. Les députés du côté droit, qui auraient voulu conserver à la monarchie ses anciennes prérogatives, considéraient toute imitation du gouvernement représentatif comme une usurpation sur les droits de la couronne. L’origine parlementaire des conseillers du roi les inquiétait; ils y voyaient la preuve que le roi subirait l’influence de l’assemblée et ne réussirait jamais à gouverner lui-même, comme le voulaient les traditions. Du côté gauche, on faisait d’autres objections. Si les ministres siégeaient dans l’assemblée, n’en gêneraient-ils pas la liberté? Ne tireraient-ils pas de leurs fonctions mêmes des moyens puissans d’intrigue ou de corruption pour séduire leurs collègues? C’était, en tout cas, une nouveauté qui inspirait à l’ensemble des représentans de la nation plus d’ombrages que de confiance.

Mirabeau trouvait cependant des dispositions favorables à son projet chez les membres les plus instruits et les plus éclairés du côté gauche. Les Lameth, Duport, Barnave, reconnaissaient comme lui la nécessité de former un nouveau ministère et de le composer avec des membres de la majorité. On avait compté un instant, pour cette combinaison, sur le concours du duc d’Orléans. Le séjour du prince en Angleterre ayant fait évanouir les espérances de ses amis,