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territoire exerceraient une influence décisive si on avait le talent de les bien choisir. Par une vue de génie, Mirabeau, qui s’est si souvent servi à son profit de la publicité, devine tout le parti qu’on pourrait tirer de la presse. Les longs ouvrages ne sont lus que par un petit nombre de personnes. Ce qui réussirait le mieux, ce qui donnerait le plus d’ampleur à la propagande constitutionnelle et monarchique serait un journal vendu à très bas prix. Mirabeau expose alors les idées qu’il serait utile de répandre : respect de la constitution dans ses principes essentiels, nécessité de certaines réformes, « prouver surtout qu’il ne peut y avoir de liberté sans obéissance à la loi, de loi sans force publique, et de force publique sans confiance dans le pouvoir exécutif. » Nulle part on n’a déterminé en moins de mots, avec plus de précision et de vigueur, les conditions d’un gouvernement libre.

Suivant lui, le salut viendra des provinces. Il serait bon de favoriser la coalition que les départemens projettent, d’écouter leurs réclamations sur l’inutilité des districts et sur le trop grand pouvoir des municipalités, de faire sentir aux peuples qu’une administration centrale serait tout à la fois plus économique et plus forte. De telles mesures ne présenteraient aucun danger et n’exigeraient même pas de grands efforts. Elles coûteront seulement beaucoup d’argent. Il faudra savoir en dépenser. Mirabeau, qui s’y connaît, conseille de ne faire aucune économie sur ce chapitre. Il demande même au roi de supprimer toutes les pensions qui se paient sur sa cassette. Pas de fausse sensibilité. Le salut de l’État avant tout. Les mendians auront leur tour dans des temps plus prospères.

La lutte que Mirabeau entrevoit entre les départemens et Paris, qu’il appelle même de tous ses vœux, le conduit à envisager l’éventualité de la guerre civile. Il le fait avec une tranquillité effrayante. Le déchirement de la patrie, le sang français versé par des mains françaises, rien ne l’arrête, m La guerre civile, dit-il simplement, laisse encore de grandes ressources à la liberté publique, à la constitution, à l’autorité royale. » Il voit déjà en imagination la reine et le dauphin à cheval. Quel contraste entre l’audace de ces conseils et l’impuissance de ceux à qui on les donne! Marie-Antoinette toute seule, en vraie fille de Marie-Thérèse, eût peut-être essayé de reconquérir son royaume l’épée à la main, comme Henri IV. Mais que faire de l’être inerte, du roi sans volonté auquel elle était associée ? Le courage de bien mourir était le seul dont Louis XVI fut capable. Malgré sa vaillance, la reine frissonna en lisant la huitième note adressée par Mirabeau à la cour. Elle n’était pas au bout des surprises que lui réservait ce terrible homme. Dans sa trentième note, une des plus belles qu’il ait