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écrites, Mirabeau, après avoir admirablement déterminé ce qu’il y a d’immortel et ce qu’il y a de fragile dans une constitution votée au milieu de la tempête, à travers la résistance des ordres privilégiés, sous la pression de la multitude, sous l’influence de la crainte et de la haine, définit le parti populaire. « Le parti véritablement populaire est celui qui veut maintenir la constitution contre les mécontens. La cour sera de ce parti si elle ne leur donne aucun espoir; si, abandonnant sans retour l’ancienne magistrature, la noblesse et le clergé, elle paraît soutenir de toute son influence la majorité actuelle de l’assemblée ; car, se réunir à elle, c’est acquérir le droit et le moyen de la diriger, et diriger c’est gouverner. Là est la véritable puissance. » Allant jusqu’au bout de sa pensée, Mirabeau, qui ne veut ni conserver les ministres en fonctions ni subir un ministère composé de créatures de La Fayette, ne recule pas devant un ministère jacobin. Les raisons qu’il en donne sont célèbres. « Des jacobins ministres ne seraient pas des ministres jacobin-. Pour un homme, quel qu’il soit, une grande élévation est une crise qui guérit les maux qu’il a, et lui donne ceux qu’il n’a point. Placé au timon des affaires, le démagogue le plus enragé, voyant de plus près les maux du royaume, reconnaîtrait l’insuffisance du pouvoir royal. » Si cette idée fait peur, pourquoi ne pas s’arrêter à un moyen terme ? Qui empêcherait de réunir dans le même ministère avec des jacobins plusieurs membres d’une autre section du parti populaire? Ils se corrigeraient les uns par les autres et formeraient une opinion moyenne de nature à décourager les démagogues, à ranimer au contraire les espérances des honnêtes gens.

Quelques jours après, Mirabeau va plus loin encore. Dans le cas où le décret qui interdit aux députés l’accès du ministère serait rapporté par l’assemblée, il conseille de nommer ministres les chefs des jacobins. « Tous ! tous (cela fait horreur, mais cela est profondément habile) qu’on les nomme; car s’ils tiennent, tant mieux, ils seront forcés de composer, et s’ils ne tiennent pas, ils sont perdus, eux et leur parti. » Mirabeau ne se trompait pas sur le parti qu’un gouvernement résolu pouvait tirer des jacobins. Un homme de sa trempe les aurait disciplinés; avant Bonaparte, il en aurait fait des ministres, des chambellans, des administrateurs, des pourvoyeurs de sa police. Mais il lui manque le moyen de mettre à l’épreuve ces ambitions, ces appétits qu’il devine sous les déclamations des tribuns. Il ne gouverne pas, il ne dispose ni des places, ni des honneurs, ni de l’argent. Il n’est qu’un donneur de conseils dont la voix se perd dans le vide, le conseiller énergique, mais peu écouté, du plus indécis, du plus débile des gouvernemens.

Il y a des momens où il se rend compte de l’inutilité de ses