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efforts, où il comprend qu’il ne parviendra jamais à faire passer son énergie dans des âmes timides. Il se lasse alors de son rôle de subalterne, il fait dans l’assemblée des rentrées éclatantes, comme pour montrer à la cour la force qu’on inutilise, ce dont il serait capable si on lui confiait une fois la direction des affaires. Un jour, il s’attaque à Necker, auquel il n’a jamais pardonné d’avoir méconnu son génie, il le précipite du pouvoir en lui portant les derniers coups. Le lendemain, il s’étonne que les ministres ne proposent aucune résolution à propos des troubles de Brest. Pendant que le côté droit de l’assemblée défend le drapeau blanc, il s’élance à la tribune, et, dans une de ses improvisations les plus véhémentes, il rappelle que les trois couleurs ont été données aux troupes comme le signe de ralliement des amis de la liberté, et portées par le roi lui-même.

Ce n’est pas là le langage d’un tribun, comme le croit M. Charles de Loménie. Il y a des questions sur lesquelles Mirabeau ne peut pas transiger. Tout retour en arrière, toute résurrection de l’ancien régime, répugnent à sa conscience comme à sa raison. Il a vu, dès le début de la révolution, le mal que les regrets, les hésitations et les fautes des ordres privilégiés ont causé à la monarchie. A aucun prix il ne se fera le complice de nouvelles erreurs de ce genre. Puisque la cour veut bien le consulter, il conseillera toujours de se rapprocher du parti populaire, jamais de la droite. Quand on s’est adressé à lui, on connaissait son passé, ses opinions, ses engagemens. Il n’en changera pas. Il cherchera, au contraire, à détruire dans l’esprit du roi et de la reine tout ce qui pourrait leur rester de confiance dans les représentans de l’ancien ordre de choses.

D’ailleurs, il ne peut servir utilement la cour qu’à la condition de rester lui-même en pleine possession de son influence et de sa popularité. C’est sans doute pour les rajeunir, — et ici nous sommes tout à fait d’accord avec M. Charles de Loménie, — qu’il prononce, dans la séance du 13 novembre 1790, un discours très violent. Ce jour-là, Mirabeau a certainement tenu un langage révolutionnaire assez peu compatible avec les sentimens qu’il témoignait dans ses notes à la cour. Mais il serait injuste d’isoler ce discours des circonstances au milieu desquelles il a été prononcé. Mirabeau était mécontent que la cour, tout en lui demandant des conseils, ne voulût en suivre aucun et se fût obstinée à conserver des ministres dont il demandait le renvoi depuis plusieurs mois, dans l’intérêt même de la royauté. Le maintien du ministère et l’irritation qu’en éprouvaient beaucoup de députés avaient amené dans l’assemblée même des scènes scandaleuses. La droite, qui compromettait les ministres en les défendant, avait interrompu par