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membres du clergé, les journalistes, aux ministères, chez le roi et chez la reine, dans les départemens, dans les tribunaux, dans le corps électoral.

Il est difficile d’imaginer un plus formidable instrument de despotisme. Le comité de Salut public et la police de Fouché n’iront pas au-delà. Si on eût fait cette observation à Mirabeau, il aurait répondu qu’on périssait par la liberté, qu’il fallait d’abord sauver le pouvoir exécutif, qu’on s’occuperait du reste ensuite. Qu’un esprit si libre, si sincèrement attaché au gouvernement représentatif, en fût arrivé là, cela indiquait clairement que l’anarchie ramenait la France au pouvoir absolu. Puisque cette extrémité ne pouvait guère être évitée, il faut regretter peut-être qu’au lieu de jouer le rôle ingrat d’un conseiller mal écouté, Mirabeau n’ait pas été chargé d’exécuter lui-même son plan. Dans tout ce qu’il écrit à cette époque, dans tous les détails de sa correspondance, on sent le frémissement intérieur d’un homme qui aspire à gouverner, dont l’esprit est assiégé par l’image d’un gouvernement fort et qui s’épuise en objurgations désespérées pour faire passer quelque chose de son énergie dans des âmes inertes.

La Marck l’accuse quelquefois de ménager sa popularité, de ne pas savoir prendre un parti entre les Jacobins et la cour, de se réserver avec intention, afin de se trouver au dernier moment du côté du plus fort. Mais ceux au nom desquels on lui adresse ce reproche méritaient-ils qu’il se sacrifiât pour eux? On lui demandait des conseils sans les suivre; en réalité on ne lui témoignait qu’une confiance apparente. Comme l’indiquent une lettre de Marie-Antoinette au comte de Mercy et une lettre du roi au marquis de Bouille, la cour cherchait surtout à le neutraliser, à ne pas l’avoir contre elle : — « Écoutez le projet de Mirabeau, écrivait le roi, mais sans trop vous y livrer. » — Il ne semble pas qu’on ait eu une seule fois l’intention arrêtée de mettre entre ses mains les destinées de la monarchie. Lui-même le sentait parfaitement, il ne se trouvait ni assez secondé, ni assez soutenu. Bien souvent, il aurait voulu compléter ses notes manuscrites par des explications verbales qui lui auraient permis de mieux préciser certains détails, de faire plus facilement passer sa conviction dans les esprits. On s’y refusait toujours. La reine ne daigna le recevoir qu’une seule fois, et, malgré de fréquentes instances, ne consentit jamais à lui accorder une nouvelle entrevue.

D’ailleurs, qu’espérer d’un prince dont rien ne parvenait à secouer l’inertie? — « Le roi, écrivait La Marck au comte de Mercy, est sans la moindre énergie. M. de Montmorin me disait l’autre jour tristement que, lorsqu’il lui parlait de ses affaires et de sa position, il semblait qu’on lui parlât de choses relatives à l’empereur de la