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voulons faire nous permettra de fixer avec précision certains détails du XVIIe siècle anglais, qui ne sont pas sans intérêt.

Nous avons vu que les contemporains de la restauration considéraient la duchesse vieillissante comme une caricature de l’époque précédente. Ses goûts intellectuels étaient, en effet, à l’avenant de ses costumes, et l’on peut dire, si l’on veut, que sa culture littéraire avait un caractère rétrospectif. En s’inspirant des formes littéraires chères aux générations précédentes, et en restant dans l’ignorance ou le mépris de celles que la restauration mit à la mode, était-elle cependant si loin de son époque qu’il le semble au premier abord? Par sa tournure de pensée, par sa manière d’écrire tant en prose qu’en vers, elle se rattache directement à la période dite Elizabethan era; mais cette période était-elle sérieusement close à l’époque où elle écrivit? Un des grands sujets d’étonnement de ceux qui commencent l’étude de la littérature anglaise, c’est de voir l’extension que donnent à l’Elizahethan era les critiques les plus éminens de la première partie de notre siècle : Coleridge, Southey, Hazlitt, Leigh Hunt. Non-seulement ils y englobent tous les successeurs immédiats de Shakspeare, mais ils y rattachent des écrivains, comme l’évêque Jérémie Taylor, qui mourut dans les premières années de la restauration, et comme sir Thomas Browne, dont la vie se prolongea jusqu’au dernier quart du XVIIe siècle. C’est qu’en effet, de cette période littéraire très inexactement nommée et sans grand souci des dates, le règne d’Elisabeth n’a vu que l’aurore. Elle s’ouvre vers 1588 environ, c’est-à-dire dans les quinze dernières années de la grande reine, et se prolonge, avec des fortunes diverses, jusqu’après la restauration, en sorte que cette ère prétendue d’Elisabeth est bien plutôt, en réalité, celle des deux règnes de Jacques Ier et de Charles Ier. C’est que, malgré l’éclatante exception de Thomas Morus, l’Angleterre n’a eu sa vraie renaissance que longtemps après les nations du continent, que cent ans séparent Arioste de Spenser, et que par conséquent son XVIe siècle s’est trouvé en grande partie transporté au XVIIe. A la vérité, on peut dire que dès le commencement du règne de Jacques Ier il se produisit dans la poésie anglaise une bifurcation curieuse d’où sortit un courant nouveau, très distinct du précédent. Tandis que la grande poésie épique et dramatique restait fidèle à l’esprit de l’Elizabethan era et se prolongeait, avec Milton, jusqu’après la restauration, la poésie lyrique pure s’émancipait, et sous une double forme, amoureuse et religieuse, inaugurait un style particulier, très affecté, très tourmenté, très artificiel, original cependant malgré ses nombreux défauts, qui, de 1610 environ jusque vers 1670, resta en pleine faveur et sévit sur tous les beaux esprits qui se succédèrent entre