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en sont d’un ambre transparent d’où s’exhale un doux parfum lorsque le feu est allumé : son lit est d’un noyau de cerise creusé et sculpté dans toute son étendue, les rideaux en sont d’une aile brillante de papillon, les draps en sont de paupières de tourterelles, et l’oreiller en est un bouton de violette. Les murs de la chambre sont en verre transparent afin que la reine puisse être vue lorsqu’elle passe à l’intérieur ; les portes sont hermétiquement verrouillées avec des épingles d’argent. La reine est endormie, et maintenant le jour de l’homme commence.


Il n’est aucun de nos lecteurs qui, en lisant ce joli morceau, ne se rappellera les passages du Songe d’une nuit d’été où figurent Obéron et Titania, et la description de la reine Mab par Mercutio dans Roméo et Juliette et ne se dira qu’il en sort directement. Eh bien, cette opinion ne sera qu’à demi vraie. Eh oui, la conception première en est de Shakspeare, mais la facture en est d’Herrick[1]. Des deux côtés, c’est le même prolongement minutieux, la même délicatesse entomologique, le même miroitement d’atomes. Par ce tout petit exemple on peut juger des inexactitudes de jugement auxquelles s’expose le critique, lorsqu’il s’en tient pour les indivi- dus à des ressemblances trop générales. La vérité est dans la nuance, dit quelque part M. Renan; pour les ensembles, je n’en sais trop rien, et j’y serais plus volontiers partisan des couleurs tranchées, mais pour tout ce qui est des genres, des familles et des individus, certainement.

Voici un autre tableau du pays des fées, celui-là d’une touche plus large, et rappelant plus directement les maîtres du genre, Milton, Ben Jonson, Spenser. Je n’ose dire qu’il ne serait indigne d’aucun, mais rappelez-vous que Henri Heine a fait une peinture toute semblable, celle de sa Loreley peignant ses cheveux d’or au : bords du Rhin, et voyez si celle de la duchesse ne soutiendra pas la comparaison.


Mes coffrets sont des coquilles d’huîtres où je garde mes perles d’Orient, et je porte un modeste corail qui rougit dès qu’il touche l’air.

Sur les vagues d’argent je m’assieds et je chante, et alors les poissons immobiles m’écoutent; puis, je me repose sur un rocher et j’y peigne ma chevelure avec une arête de poisson.

Pendant qu’Apollon avec ses rayons sèche ma chevelure de l’eau

  1. Tellement d’Herrick que la duchesse a transporté dans sa pièce, sans y prendre garde, un vers de la fête d’Obéron presque textuellement, celui qui fait mention de la table-champignon de la reine. De son côté, M. Jenkins a noté une ressemblance moins étroite qui se rapporte à l’office des moucherons à la cour des fées. Il est vrai d’ajouter qu’Herrick, à son tour, était redevable de nombre de traits de sa description à Drayton, qui dans sa Nymphidia a raconté la querelle d’Obéron et de Titania, et comme ce dernier avait emprunté ce sujet à Shakspeare, c’est toujours au grand poète qu’il faut en revenir.