Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

misérable et plus en haillons que dans d’autres ; et il y a aussi certains siècles où le monde est rapiécé et reprisé, mais rarement avec ce qui est nouveau et convenable, et il est plus souvent habillé dans un habit de bouffon que dans une grave soutane. » Les phrases soulignées ci-dessus désignent assez clairement, ce nous semble, Charles II et les principaux de sa cour, sinon comme les auteurs, au moins comme les fauteurs de tous les scandales régnans. Elle avait en aversion ce cailletage impur et médisant mis en vogue par le beau monde de la restauration, dont Wycherley nous a transmis l’expression la plus effrontée, mais la plus mâle, et Congrève l’expression la plus lascive et la plus élégante, et elle le regardait, avec raison, comme l’agent propagateur par excellence du vice et de la corruption. « En vérité, on peut dire que dans ce siècle il y a une maligne contagion de babillage, car non-seulement une femme en infecte une autre, mais les femmes en infectent les hommes, et les hommes à leur tour s’infectent mutuellement; cela s’étend si loin que les jeunes enfans en sont eux-mêmes attaqués, tant cette infection est forte et maligne. » Comme elle a sans doute entendu chuchoter à ses oreilles qu’elle n’était pas à la mode, elle se demande ce que signifie ce mot et la tyrannie de nouvelle espèce qu’il vient de porter dans le monde, et loin d’essayer de se justifier de ce reproche, elle s’en empare pour s’en faire gloire, et en flétrit en termes éloquens l’ineptie et le ridicule. Elle montre avec beaucoup de sens ce qu’il y a d’artificiel dans cette domination de la mode, par la facilité avec laquelle la plupart de ses suivans lui soumettent non-seulement ce qui est transitoire et extérieur comme les manières et les formes des vêtemens, mais ce qu’il y a de plus essentiel dans notre nature. « Ce qui est étrange, c’est qu’ils arrivent à avoir des esprits selon la mode, ils donnent leurs opinions et leurs jugemens selon la mode, ils aiment et haïssent selon la mode, ils sont courageux ou lâches selon la mode, ils approuvent ou désapprouvent selon la mode. » Elle se demande ce que cela peut signifier que telle chose soit à la mode, si elle n’est pas vraie, ou qu’elle ne soit pas à la mode si elle est vraie. « Les gens justes et sages n’aiment et ne haïssent, n’approuvent ou ne désapprouvent selon la mode; mais ils haïssent ce qui est réellement bas, mauvais et pervers, et ils aiment ce qui est réellement bon, vertueux et digne, non à cause de l’opinion générale, mais pour la vérité... Ils parlent non avec des phrases à la mode, mais avec les mots les plus clairs et qui peuvent le mieux les faire comprendre, et leurs manières sont de celles qui sont humaines et non pas simiesques, fantasques ou contrefaites. Leurs habits sont taillés de manière à être surtout utiles, aisés et convenans. Leurs appétits ne raffolent pas des mets ou des sauces en vogue.