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officielle disparaît momentanément de la scène ; des semaines, des mois s’écoulent et la jeunesse en haillons n’est ni plus rare ni moins épouvantable que par le passé. On la retrouve invariablement au coin des rues où elle s’attarde en de mortelles stations, moins redoutables cependant que les dangers d’un autre ordre qui l’attendent au logis. Nous verrons plus loin à quelle sorte d’embûches elle est exposée ; l’Angleterre est en présence d’un problème dont la solution s’impose à elle avec force et prend une place de plus en plus grande dans les préoccupations du pays.


I.

Il semble que dans une étude de ce genre il ne soit pas sans intérêt de marquer d’abord d’un trait rapide la condition présente des classes pauvres. Nous rendrons peut-être plus saisissant le tableau des périls qui menacent l’enfance si nous indiquons au lecteur l’ensemble des causes qui les ont fait naître. De la misère des pères à celle des fils, la transition n’est que trop facile. Quelle est donc l’étendue du mal et combien existe-t-il d’Anglais qui pourraient envier le sort du cheval de fiacre, de ce travailleur à quatre pieds dont Thomas Carlyle disait qu’il jouit de tout le nécessaire qui manque à l’homme ? Les relevés et les récits que renferme le livre de M. William Booth fournissent à cet égard des indications très complètes. Prenons le district le plus éprouvé de Londres, c’est-à-dire le quartier est avec Tower Hamlets, Shoreditch, Bethnal Green et Hackney, soit 908,000 âmes, moins d’un quart de la population totale de la ville. Il s’y trouve 331,000 habitans dont la condition sociale est la suivante : 17,000 pensionnaires des workhouses, des asiles et des hôpitaux, 11,000 fainéans ou récidivistes endurcis, sans domicile ; 100,000 besogneux ne connaissant de la vie que les privations, mais gagnant bon an, mal an, dix-huit schellings par semaine ; 74,000 familles très pauvres, vivant d’un salaire hebdomadaire de dix-huit à vingt et un schellings, la plupart du temps irrégulier ; 129,000 dont les rentrées d’égale somme présentent quelque fixité. Afin d’obtenir une évaluation approximative du reste des malheureux que renferme la métropole anglaise, il faudrait multiplier par quatre les chiffres qui précèdent, l’east end représentant à peu près, nous l’avons dit, la quatrième partie de l’agglomération londonienne ; mais l’arrondissement qui nous sert de point de départ étant le moins riche de tous, nous n’attribuerons à chacun des trois autres, conformément à une statistique très récente, que 220,000 pauvres au lieu de